Previous Page  240-241 / 276 Next Page
Information
Show Menu
Previous Page 240-241 / 276 Next Page
Page Background

239

les collections aristophil

littérature

238

245

VOLTAIRE (1694-1778).

L.A.S. « V », Potsdam 24 octobre 1750,

[au marquis Henri de THIBOUVILLE] ;

4 pages in-4 (quelques fentes aux plis

et réparation à un coin).

8 000 / 10 000 €

Très belle lettre sur le début de son séjour

à Potsdam chez Frédéric II, et sur son

théâtre

.

[Voltaire a quitté Paris le 25 juin 1750 pour

Berlin, où il restera jusqu’en 1753 ; il ne

reverra Paris que quelques mois avant sa

mort. Henri Lambert d’Herbigny, marquis

de THIBOUVILLE (1710-1784), homme de

lettres et auteur dramatique, passionné de

théâtre, ami de Voltaire, lui servait volon-

tiers d’intermédiaire avec les comédiens

ou avec les éditeurs pour la publication de

ses pièces ; il l’aidait aussi pour les repré-

sentations dans le théâtre que Voltaire avait

aménagé dans son hôtel parisien de la rue

Traversière, jouant notamment le rôle de

Catilina (d’où le surnom que lui donne Vol-

taire) dans

Rome sauvée

. Voltaire évoque

ici successivement ses tragédies

Sémiramis

(1748),

Rome sauvée, ou Catilina

, qui sera

jouée à Berlin par les princes de Prusse,

et publiée en 1752, et

Le Duc d’Alençon,

ou les Frères ennemis

, remaniement de

son

Adélaïde du Guesclin

de 1734, qui sera

représentée plusieurs fois à Potsdam par

les princes.]

« Non seulement je suis un transfuge mon

cher Catilina, mais j’ay encor tout l’air d’etre

un paresseux. Je m’excuseray d’abord sur

ma paresse en vous disant que j’ay travaillé

à

Rome sauvée

, que je me suis avisé de faire

un opera italien de la tragedie de

Semiramis

[pour la Margrave de Bayreuth], que j’ay

corrigé presque tous mes ouvrages, et tout

cela sans compter le temps perdu à aprendre

le peu d’allemand qu’il faut pour n’etre pas à

quia en voiage, chose assez difficile à mon

age. Vous trouverez fort ridicule, et moy

aussi qu’à cinquante six ans l’autheur de

la

Henriade

s’avise de vouloir parler allemand

à des servantes de cabaret. Mais vous me

faites des reproches un peu plus vifs que je

ne merite assurément pas. Ma transmigration

a couté beaucoup à mon cœur. Mais elle a

des motifs si raisonables, si legitimes, et j’ose

le dire, si respectables, qu’en me plaignant de

n’etre plus en France personne ne peut m’en

blamer. J’espere avoir le bonheur de vous

embrasser vers la fin de novembre. Catilina

et le duc d’Alençon se recommanderont à

vos bonnes graces dans mon grenier [son

théâtre de la rue Traversière], et les nou-

veaux roles de

Rome sauvée

arriveront à

ma niece [Mme DENIS] dans peu de temps.

[…] Comment pui-je mieux meriter ma grace

aupres de vous que par deux tragédies et

un teatre ? Nous etions faits pour courir

les champs ensemble comme les anciens

troubadours. Je bâtis un teatre, je fais jouer

la comedie partout où je me trouve, à Berlin

à Potsdam. C’est une chose plaisante d’avoir

246

VOLTAIRE (1694-1778).

MANUSCRIT autographe,

Remarques

historiques. Eglise

 ; 2 pages grand

in-fol. sur les deux faces d’un feuillet

de registre comptable (36 x 24 cm ; un

peu taché, légères effrangeures, pli un

peu fendu).

6 000 / 8 000 €

Notes historiques qui semblent inédites ;

elles pourraient se rattacher à la prépara-

tion de l’

Essai sur les mœurs

.

En tête, Voltaire a ajouté cette sentence :

« Les pretres doivent etre les medecins de

l’ame, mais un medecin fait il bruler celuy

qui ne veut pas de ses pillules ? »

Citons les premières entrées de ces notes

intitulées

Eglise

.

« Les anciennes eglises etoient des salles

d’assemblée car le peuple payen nentroit

point dans les temples, il se tenoit autour

des autels placez devant les temples.

On portoit devant les magistrats romains un

coussin et un livre avec deux chandeliers,

posez sur une table – c’est l’origine des

autels cretiens.

Des le commencement du troisieme siecle

les autels des cretiens etoient magnifiques, ils

avoient des colonnes dargent de trois mille

marcs, leurs calices empruntez des coupes

des romains etoient d’or […]

L’office se faisoit dans la langue vulgaire de

chaque peuple.

On prioit debout et cette coutume est

demeurée dans l’eglise grecque.

Il y avoit quinze ans de penitence pour les

adulteres »...

Suivent des remarques sur Constantin et la

basilique de Latran, les aumones touchées

par les papes, l’établissement de maisons

charitables, l’habillement des moines, le plan

des monastères à l’imitation « des anciennes

maisons grecques et romaines », l’établis-

sement des cardinaux, les écrits contre les

papes, etc.

« Si les pretres n’avoient servi qu’à l’autel, et

n’eussent eté que depositaires de misteres

ignorez du public, il n’y eut jamais eu de

guerres de relligion. […]

Dans toutes les disputes teologiques, Rome

a toujours décidé pour ce qui est le plus au

dessus des sens, cétoit tres bien connaitre

les hommes de son temps, puisquil sagissoit

de mistere, plus la chose etoit incomprehen-

sible, plus elle etoit mistere »… Etc.

À la fin, des notes brèves, certaines sur les

arts sous Louis XIV.

trouvé un prince et une princesse de Prusse

[le prince Henri et la princesse Amélie], tout

deux de la taille de Mademoiselle Gossin

[GAUSSIN], déclamant sans aucun accent,

et avec beaucoup de grace. Mademoiselle

Gossin est à la verité superieure à la prin-

cesse. Mais celle cy a de grands yeux bleus

qui ne laissent pas d’avoir leur mérite. Je

me trouve icy en France. On ne parle que

notre langue. L’allemand est pour les soldats

et pour les chevaux, il n’est necessaire que

pour la route. En qualité de bon patriote je

suis un peu flatté de voir ce petit hommage

qu’on rend à notre patrie à trois cent lieues

de Paris. Je trouve des gens elevez à Könis-

berg qui savent mes vers par cœur, qui ne

sont point jaloux, qui ne cherchent point à

me faire des niches.

À l’égard de la vie que je mene auprès du

roy [FRÉDÉRIC II] je ne vous en ferai point le

détail. C’est le paradis des philosofes. Cela

est audessus de toutte expression. C’est

César, c’est Marc Aurele, c’est Julien, c’est

quelquefois l’abbé de Chaulieu, avec qui on

soupe. C’est le charme de la retraite, c’est

la liberté de la campagne, avec tous les

petits agremens de la vie qu’un seigneur de

chatau qui est roy peut procurer à ses tres

humbles convives. […] Dites à Cesar [LEKAIN]

les choses les plus tendres. Gardez avec

Cesar un secret inviolable »...

La lettre porte en tête un ex-dono du littéra-

teur Louis-Simon AUGER (1772-1829), l’offrant

à son ami Etienne Cot.

Correspondance

(Pléiade), t. III, p. 261.