244
245
les collections aristophil
littérature
recommande les « deux petits magots de princes de Meklembourg »
qui vont à Genève… « comptez que je voudrais vous embrasser ce
soir et que je vous aime passionement ».
Soleure 17 août
. « Le pigeon avance toujours vers le colombier et
quoyque ce ne soit pas à tire d’aile, il arrivera pourtant plustot qu’il
ne l’avait promis. Rien n’est si fidele qu’un vieux pigeon ». Il passera
probablement par Neuchâtel afin de « causer avec mylord maréchal
et de savoir des nouvelles veritables de la position du Roi de Prusse.
Il est bon d’avoir des amis partout. Non je passerai par Berne ». Il
pense à la terre de Champignelle : « il me faut des chateaux et j’en fais
en Espagne. […] Toutte l’Europe nous fait l’honneur de souhaiter que
nos affaires aillent mal, parce que nous nous mélons, diton, de ce qui
ne nous regarde pas. […] Les russes sont à Francfort sur l’Oder, chez
notre bon ami, mais il a toujours une forte armée. Dix mille anglais
avancent par l’Ostfrise. La balance est égale quoy qu’on dise, et le
resultat de tout cecy est que la France se ruine, et que les marquets
auront bientot de quoi l’acheter. Pour nous autres tachons d’acheter
un chatau, on n’est bien que chez soy, loin des folies et des horreurs
et des sottises du monde. Vive la paix et l’indépendance apuyée sur
l’aisance et embellie par les belles lettres. Vive surtout la Tessalie.
Je crois que vous l’habitez quelquefois. J’espere vous y voir bientot
entre Admette et Alceste »…
Correspondance
(Pléiade), t. V, p. 167, 170, 175, 177, 178, 187, 193 (extraits
d’après le catalogue de vente Cornuau, 21 février 1936).
254
VOLTAIRE (1694-1778).
L.S. « Voltaire », aux Délices près de Genève 4 juin 1759, à
Antoine
LE BAULT
, conseiller au Parlement de Bourgogne,
à Dijon ; la lettre est dictée à son secrétaire Jean-Louis
WAGNIÈRE
; 2 pages in-4, adresse, cachet cire rouge aux
armes (brisé).
1 000 / 1 200 €
Spirituelle lettre sur un procès
.
« Pardonnez à mon importunité ; il ne s’agit que d’une vache, c’est
le procez de Mr Chicaneau, mais vous verrez par la lettre cy jointe
d’un procureur de Gex qu’une vache dans ce pays cy suffit pour
ruiner un homme ; c’est en partie ce qui contribue à dépeupler le
pays de Gex déjà assez malheureux ; les procureurs succent icy
les habitans, et les envoyent ensuitte écorcher aux procureurs de
Dijon. Un nommé Chouet cy devant fermier de la terre de Tournay
veut absolûment ruiner un pauvre homme nommé Sonnet, et ledit
Chouet étant fils d’un Sindic de Genêve croit être en droit de ruiner
les Français ; il a surpris la vache de Sonnet mangeant un peu d’herbe
dans un champ en friche, lequel champ je certifie n’avoir été labouré
ni semé depuis plusieurs années. Un grand procez s’en est ensuivi
à Gex, l’affaire a été ensuitte portée au parlement, il y a déjà plus
de frais que la vache ne vaut ». Voltaire implore les bontés de Le
Bault « pour un français qu’on ruine bien mal à propos. […] je crois
remplir mon devoir en demandant instamment votre protection
pour ceux qu’on opprime »…
Correspondance
(Pléiade), t. V, p. 511.
255
VOLTAIRE (1694-1778).
L.A., [septembre-octobre 1759], à Mme d’ÉPINAY ; 1 page
in-8, adresse (fente au pli central).
4 000 / 5 000 €
Belle lettre sur sa lutte contre l’infâme
.
[Louise de La Live d’ÉPINAY (1726-1783), amie et protectrice des Philo-
sophes, est venue à Genève avec le baron von Grimm à Genève pour
se faire inoculer. Voltaire la charge ici de l’impression chez Cramer de
sa brochure
Relation de la maladie, de la confession, de la mort et
de l’apparition du jésuite Berthier
(directeur du
Journal de Trévoux
),
en riposte à la suspension de l’
Encyclopédie
.]
« Ma tres chere philosophe, ma bien aimée, la joie et le regret de
mon cœur mettez vite le veritable Crammer en besogne. L’apparition
poura bien valoir l’agonie. Petit caractere et net, afin de tenir peu de
place ; le plus d’exemplaires que Crammer poura. Le debit comme il
voudra, comme vous jugerez à propos, pourvu qu’il n’y ait point de
nom d’auteur tout va bien, tout est bon. Il faut rendre l’infame ridicule,
et ses fauteurs aussi. Il faut attaquer le monstre de tous cotez, et le
chasser pour jamais de la bonne compagnie. Il n’est fait que pour
mon tailleur et pour mes laquais.
Ma belle philosophe, je veux vous voir. J’ay la colique. Je soufre
beaucoup. Mais quand je me bats contre l’infame je suis soulagé.
J’embrasse le profete bohemien [GRIMM].
A demain l’apparition ».
Correspondance
(Pléiade), t. V, p. 620.
253
VOLTAIRE (1694-1778).
L.A.S. « V », [vers le 15 mars 1759], au « ministre » Jacob
VERNES ; 1 page in-4, adresse (coins réparés avec perte de
deux fins de ligne).
10 000 / 12 000 €
Fameuse lettre, en partie inédite, où Voltaire nie être l’auteur de
Candide
.
[Le pasteur genevois Jacob VERNES (1728-1791), ami et correspondant
de Voltaire et Rousseau, rédigeait la revue
Choix littéraire
. En janvier
1759, Cramer avait publié à Genève
Candide, ou l’Optimisme, traduit
de l’allemand de M. le docteur Ralph
, rapidement suivi par l’édition
parisienne ; le livre fut aussitôt condamné à Paris et à Genève.]
« J’ay lu enfin Candide. Il faut avoir perdu le sens pour m’attribuer
cette couionnerie [le mot a été surchargé plus tard en
cochonerie
].
J’ay dieu mercy, de meilleures occupations. Si je pouvais excuser
jamais l’inquisition je pardonerais aux inquisiteurs du Portugal d’avoir
pendu le raisoneur Pangloss, pour avoir soutenu l’optimisme. En effet
cet optimisme détruit visiblement les fondements de notre relligion;
il mene à la fatalité; il fait regarder la chute de l’homme comme une
fable, et la malédiction prononcée par Dieu meme contre la terre,
comme vaine. C’est le sentiment de touttes les personnes religieuses
et instruittes, elles regardent l’optimisme comme une impieté affreuse.
Pour moy qui suis plus moderé je ferais grace à cet optimisme pourvu
que ceux qui soutiennent ce sisteme ajoutassent qu’ils croyent que
Dieu dans une autre vie nous donnera selon sa misericorde, le bien
dont il nous prive en ce monde suivant sa justice. C’est l’éternité à
venir qui fait l’optimisme, et non le moment présent. Vous etes bien
jeune pour pense[r à cette] eternité, et j’en aproche. Je vous souhait[e
le bien] etre dans cette vie et dans l’autre ».
Il ajoute, sur le feuillet d’adresse : « Apropos comment pouvez vous
trouver de l’esprit dans
Candide
? De la naiveté ouy, un air de plai-
santerie ouy. Mais un trait d’esprit, un tour fin je vous en défie »…
Correspondance
(Pléiade), t. V, p. 420 (texte fautif, sans le post-
scriptum).
253
254
255