242
243
les collections aristophil
littérature
251
VOLTAIRE (1694-1778).
L.A.S. « V », aux Délices 22 avril 1757, à Marie-Anne du
BOCCAGE ; 1 page in-4 (bas un peu fendu et déchiré avec
petit manque affectant le V de la signature).
3 000 / 3 500 €
Charmante lettre à la poétesse, successivement en vers, en italien
et en anglais
.
[La poétesse Anne-Marie du BOCCAGE (1710-1802) partait en voyage
en Italie, à Venise puis Rome ; Voltaire avait chargé Jean-Robert
Tronchin de lui remettre cette lettre lors de son passage à Lyon.]
« Allez au Capitole allez, rapportez nous
Les mirtes de Petrarque et les lauriers du Tasse.
Si tous deux revivaient, ils chanteraient pour vous,
Et voyant vos beaux yeux et votre poésie
Tout deux mourraient à vos genoux
Ou d’amour ou de jalousie.
Dunque o Signora, doppo ch’ella avrà veduto il cornuto sposo del
mare Adriatico, vederâ il padre della chieza ! Sara coronata nel cam-
pidoglio dalle mani del’ buon’ Benedetto. Ella dovrebbe ritornare per
la via di Genevra e triomphare tra gli heretici, quando havrâ ricévuto
la corona poetica da i Santi catolici. Ma il suo viaggio è tutto per la
gloria, e nel’ suo gran’ volo ella trascura i nostri lieti benche umili tetti.
Il zio e la nipote bacciano affettuosantente la mano che’ â scritto tante
belle cose e si ricommandano alla sua benignità con ogni ossequio.
Good journey Milton’s daugter, Camoens’ sister.
Comptez Madame que nous ne vous pardonnons point de n’avoir
point pris la route de Geneve »…
Après avoir vu l’époux cornu de la Mer Adriatique, elle verra le père
de l’Église, et sera couronnée par le bon Benoît. Elle devrait revenir
par Genève et triompher chez les hérétiques, après avoir reçu la
couronne poétique des saints catholiques… L’oncle et la nièce la
saluent, et souhaitent bon voyage à la fille de Milton et sœur de
Camoens (elle avait traduit
Le Paradis perdu
de Milton, et donné
La
Colombiade
inspirée des
Lusiades
).
Correspondance
(Pléiade), t. IV, p. 1001 (sans la date, texte inexact).
252
VOLTAIRE (1694-1778).
8 L.A.S. « V » et 1 L.A., juillet-août [1758], à sa nièce Mme
Marie-Louise DENIS, aux Délices, à Genève ; 20 pages in-4,
7 pages in-8, 4 adresses (petite fente à une lettre).
20 000 / 25 000 €
Belle correspondance à sa nièce Mme Denis, en partie inédite,
pendant son voyage et son séjour à Schwetzingen chez l’Électeur
Palatin ; il y rédigera
Candide
.
Morat 4 juillet
. « Toujours mouillez et grelotant de froid au mois de
juillet j’ay recours ma chere enfant à la grande maxime de prendre
le temps comme il vient ». Il apprend que « le comte de Clermont a
perdu une grande bataille [Krefeld] le 24 juin. […] C’est une chose mer-
veilleuse que la cordialité avec laquelle on veut icy que nous soyons
battus, tandis qu’il y a quatre ou cinq regiments Suisses dans larmée. Il
semble qu’on craigne moins icy pour ses parents qu’on n’aime à voir
les français humiliez »… Il passera à Berne, puis Strasbourg… « C’est
mon enfer dans ce monde que le froid et la pluie. Je n’y puis plus
tenir. J’irai me faire bruler à Lisbonne pour avoir chaud »… Il envoie
un mot pour la comtesse de BENTINCK, si elle vient aux Délices.
Schwetzingen près de Manheim 17 juillet
. Il évoque l’opération de M.
d’Hermenches [David-Louis Constant de Rebecque] et s’inquiète de
sa convalescence… « Nous avons icy un jeune russe de seize ans, il
voiage tout seul sans gouverneur sans précepteur, avec ses domes-
tiques, et il servirait de précepteur et de gouverneur à nos seigneurs
de vingt ans. C’est le neveu du grand chancelier [Veselovsky]. Il parle
français comme s’il etait né à Versailles, il connoit tous les gouver-
nements comme s’il avait vécu longtemps dans touttes les cours. Je
suis confondu. Je n’ay encor rien vu de pareil. Tous les mémoires
que M
r
de Schvallov [SCHOUVALOV] ce favori de l’imperatrice m’a
envoyez sont de la main meme de ce favori. Il n’a que vingt cinq ans,
et il est prodigieusement savant. Petersbourg est donc la patrie des
esprits prématurez ! Par quelle bonne fortune avons-nous mérité que
ces gens la parlent notre langue et veuillent s’instruire chez nous. Ce
jeune enfant de seize ans allait à Geneve pour me voir. J’ay reçu icy
sa visite »… Ils ont eu hier
Ninette à la cour
, et après-demain ils auront
Mahomet
... Nouvelles de la guerre : « Le prince de Soubise est dans
la Hesse, le roy de Prusse en Boheme. Chacun court hors de chez
soy. Point de nouvelles encor que les russes soient à Francfort sur
l’Oder. Mais ils sont en Poméranie. Il est tres vraisemblable que le
roy de Prusse se trouvera entre cinquante mille russes et cinquante
mille autrichiens »… Son voyage était indispensable : « L’Electeur a
reçu avec un plaisir sensible le temoignage de la reconnaissance que
je luy devais. C’est un protecteur assuré pour ma vie. C’est le plus
honnete homme qui soit parmy les princes »…
Schwetzingen 19 juillet
. Le prince de Beauvau et Mme de Boufflers lui
offrent le château de Craon près de Lunéville à louer ou à vendre, et
« le Roy de Pologne m’offre un logement dans celle de ses maisons
que je voudrai choisir. Ainsi vous voyez que nous ne serons pas
comme le fils de l’homme qui n’avait pas ou reposer sa pauvre tête »…
Il reconnaît cependant les avantages de la terre de Champigneulles,
près de Nancy, et il attend les détails concernant Fontenoy. « Jouissons
toujours de nos Délices et ny faisons pas grande dépense, jusqu’à
ce que nous ayons pris un parti. Il est toujours fort agreable qu’un
roy nous fasse les avances, que les genevois ont cru nous faire grace
en nous vendant quatrevingt mille francs ce qui en vaut quarante.
Les affaires sur le Rhin prennent un tour favorable. On a fait cinq à
six cent Hanovriens prisoniers les soldats témoignent une rage de
bonne volonté singuliere, et ils attendent le maréchal d’Etrée [Estrées]
comme leur messie. Le roy de Prusse perd toujours du monde dans
sa retraitte. Les russes avancent certainement. Les affaires peuvent
se réparer plus aisément que notre gloire »…
Schwetzingen 22 juillet
. Il a acheté à Mannheim des objets en por-
les hauteurs et ont perdu beaucoup de bestiaux. Tous les biens de
la terre sont ravagez. […] Voyla notre cour palatine prisoniere. Nous
avons comédie trois fois par semaine pour nous consoler du fleau
de la guerre et des inondations. On fait marcher au secours de nos
armées les dix mille Saxons qui etaient arrivez en Alzace »… Il la prie
de garder les lettres arrivées pour lui : il en attend une de l’abbé de
Bernis dont il faut avoir soin : « je compte toujours sur votre amitié
ma chere enfant malgré votre tres rigoureux et tres étonnant silence.
[…] Je ne vous ay jamais tant regretée, et je nay jamais eté si en colere
contre vous. Voyla une etrange famille qui ne daigne pas donner de
ses nouvelles a un pauvre oncle »…
Schwetzingen 26 juillet, 4 h du soir
. Un courier « qui ne s’est point
noyé vient d’arriver avec la nouvelle que le duc de BROGLIE a battu les
Hessois pres de Marbourg et qu’on est maitre de toutte la Hesse. […]
Je vous reitere tout ce que je vous ai dit dans ma lettre de gronderie
on ne peut etre ny plus affligé ny vous aimer davantage ».
Schwetzingen 4 août
. Il va quitter l’Électeur Palatin : « Je pars demain,
comblé de ses bontez, le cœur plein de reconnaissance et plus
rempli encor du désir de vous revoir »… Il commente les dernières
manœuvres du roi de Prusse, face au maréchal comte von Daun :
« Il est vrai que la nuit du 25 au 26 juillet il a décampé avec la plus
grande précipitation du poste important de Kœnigs-grats, quil y a
laissé quelques munitions, 3 pièces de gros canon et qu’il a perdu
quelques centaines de soldats. Mais il y a grande apparence qu’il
n’a quitté une position si avantageuse que pour aller combattre les
russes qui sont enfin tres réellement dans ses états de Brandebourg.
S’il est battu, cette guerre si ruineuse pour la France est finie, s’il bat
mes russes, comme cela n’est que trop vraisemblable, en voila pour
vingt ans. Vous frémiriez que grande partie de notre fortune soit
sur le roy de France si vous saviez tout ce qu’on prodigue »… Il lui
252
celaine : on a eu tort de proscrire la manufacture de Strasbourg.
Celle de Mannheim « donnera tout à moitié meilleur marché que
celle de Vincennes, et tout aussi beau. Ce n’est pas la seule sottise
quon fasse en France. Jay acheté aussi un petit service damassé et
vous me diréz s’il est bon marché, et si j’ay eté duppe. Je vous jure
que malgré les Hanovriens le Palatinat est un bon pays. On y nourrit
douze chevaux pour moins de la moitié ce qu’il nous en coute pour
six dans notre Suisse. Malgré tout cela je partiray des qu’il fera beau
et je vous amenerai la berline que j’ay achetée à Strasbourg. Mais je
vous avertis que je ne partirai que quand vous m’aurez écrit. Plus je
vous aime, et plus j’aime vos lettres. […] Le Rhin est débordé. On disait
hier que Luc [FRÉDÉRIC II] était vivement pressé. Mais dans le déluge
où nous sommes il n’y a que les poissons qui puissent se battre »…
Schwetzingen 24 juillet
. « Enfin les trouppes légeres des russes sont
entrées en Silésie. Mais le roy de Prusse rebrousse vers la Boheme
avec beaucoup d’ordre. Les pertes qu’il a faittes dans ses marches
sont médiocres. On débarque force anglais à Embden. Cette guerre
n’a que trop l’air de durer encor longtemps »... Il voudrait être parti,
mais « il faut absolument donner encor quelques jours aux extrèmes
bontez de l’electeur. M
r
de La Galaisière m’ecrit au sujet de Fontenoy.
Toutte la cour de Lorraine a grande envie de vous voir dame de cette
terre »... Il ne verra pas à Strasbourg M. de Lucé qui a été mandé à
Versailles, et risque d’être nommé « intendant de cette malheureuse
armée qui apres avoir reculé cent lieues a laissé prendre Dusseldorf.
La saison est toujours comme les affaires publiques, triste et incom-
mode. Nous sommes au vingt quatrieme jour du déluge »…
Schwetzingen « 26
ème
de juillet et du déluge »
. Il se désespère de
ne recevoir d’elle aucune lettre… « Votre lac est il débordé comme
notre Rhin et touttes nos rivieres ? […] Le Rhin et le Nekre inondent
un terrain immense. Les gens de la campagne se sont retirez sur
251