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les collections aristophil
littérature
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VAUVENARGUES LUC CLAPIER,
MARQUIS DE (1715-1747).
MANUSCRIT autographe,
[
Dialogues
] ; 7 pages et demie in-4.
4 000 / 5 000 €
Rare manuscrit de trois Dialogues phi-
losophiques
.
Les
Dialogues
ont été publiés dans les
Œuvres posthumes de Vauvenargues édi-
tées par J.L.J. Brière en 1821. Le manuscrit,
à l’encre brune sur 4 feuillets, présente
quelques ratures et
corrections.Ilrassemble
les
Dialogues
(ici non numérotés) VI, VII
et XVIII.
[VI]
Montagne et Charron
(3 pages).
Dialogue entre MONTAIGNE et Pierre
CHARRON, auteur du livre
De la Sagesse
.
« CHARRON. Expliquons nous, mon cher
Montagne, puisque nous le pouvons pre-
sentement. Que vouliez vous insinuer quand
vous avez dit :
Plaisante justice qu’une
rivière ou une montagne borne ! Vérité
audela des Pirenées ; erreur audeça
. [La
citation est en fait de Pascal.] Avez vous
pretendu qu’il n’y eut pas une verité et une
justice reelle ?
MONTAGNE. J’ai pretendu, mon cher ami,
que la plupart des loix etoient arbitraires,
que le caprice des hommes les avoit faites,
ou que la violence les avoit imposées. Ainsi
elles se sont trouvées fort diferentes selon
les pais, et quelquefois tres peu conformes
aux loix de lequité naturelle. Mais come il
n’est pas possible que legalité se maintiene
parmi les hommes, je pretends que c’est
justement qu’on soutient les loix de son
pais, et que cest à bon titre qu’on en fait
deppendre la justice. Sans cela, il n’y auroit
plus de regle dans la société, ce qui seroit
un plus grand mal que celui des particuliers
lezez par les loix »… Etc.
[VII].
Un americain et un Portuguais
(3 pages).
« L’AMERICAIN. Vous ne me persuaderez
point. Je suis tres convaincu que votre
luxe, votre politesse, et vos arts, n’ont fait
qu’augmenter nos besoins, corrompre nos
mœurs, allumer davantage notre cupidité,
en un mot corrompre la nature dont nous
suivions les loix avant de vous conoitre.
LE PORTUGUAIS. Mais qu’apellez vous donc
les loix de la nature. Suiviez vous en toutes
choses votre instinct. Ne l’aviez vous pas
assujeti à de certaines regles pour le bien
de la société ?
L’AMERICAIN. Oui, mais ces regles etoient
conformes à la raison.
LE PORTUGUAIS. Je vous demande encore
ce que vous appelez la raison »... Etc.
[XVIII].
Platon et Denis le tiran
(1 page et
demie). Dialogue entre PLATON et le tyran
de Syracuse Denys.
« DENIS. Oui, je le maintiens, mon cher
philosophe, la pitié, l’amitié, la generosité,
ne font que glisser sur le cœur de l’home.
Pour lequité, il n’y en a aucun principe
dans sa nature.
PLATON. Quand il seroit vrai que les senti-
mens d’humanité ne seroient point durables
dans le cœur de l’home....
DENIS. Cela ne peut etre plus vrai. Il n’y
a de durable dans le cœur de l’home que
l’amour propre. […]
PLATON. C’est adire que vous qui etiez
plus fort et plus habile que vos sujets, vous
n’etiez pas obligé envers eux à etre juste.
Mais vous avez trouvé des hommes encore
plus heureux et plus habiles que vous. Ils
vous ont chassé de la place que vous aviez
usurpée. Après avoir eprouvé si durement
les inconveniens de la violence, devriez vous
persister dans votre erreur ? Mais puisque
votre experience n’a pu vous instruire, je le
tenterois vainement. Adieu ; je ne veux point
infecter mon esprit du poison dangereux de
vos maximes »...
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VOLTAIRE (1694-1778).
L.A.S. « Voltaire », Cirey par Vassy
en Champagne 9 novembre 1736,
à Jean-Jacques DORTOUS DE
MAIRAN ; 4 pages in-4 (légères
piqures).
10 000 / 15 000 €
Très belle et longue lettre scientifique sur
les forces motrices et sur l’optique, illustrée
d’un croquis
.
[Jean-Jacques DORTOUS DE MAIRAN (1678-
1771), mathématicien, astronome et physicien,
publiera en 1741 une
Dissertation sur l’esti-
mation et la mesure des forces motrices
,
et débattra avec Émilie du Châtelet sur la
question des forces vives.]
En quittant Paris pour Cirey, il a chargé le
jeune de La Mare de rendre à Mairan son
« memoire
Sur les forces motrices
que vous
aviez eu la bonté de me preter » ; il ne sait si
ce jeune homme a fait « la petite infidelité de
le garder pour s’instruire, mais cest un tresor
qui nest pas à son usage ». Le gémoètre et
mathématicen Henri PITOT (1695-1771) n’avait
pas lu ce mémoire : « sur quoi je conclus que
dans votre academie [des Sciences], il arrive
quelquefois la meme chose qu’aux assem-
blées des comediens. Chacun ne songe
qu’à son role, et la piece n’en est pas mieux
jouée. J’avois encor demandé à M
r
Pitot,
s’il croyoit que la quantité du mouvement
fut le produit de la masse par le quarré des
vitesses. Il m’avoit assuré qu’il etoit de ce sen-
timent, et que les raisons de M
rs
LEIBNITS et
BERNOULLI luy avoient paru convaincantes.
Mais apeine fuje arrivé à Cirey, qu’il m’écrivit
qu’il venoit de lire enfin votre memoire, qu’il
etoit converti, que vous luy aviez ouvert les
yeux, que votre dissertation etoit un chef
d’œuvre. Pour moy Monsieur je n’avois point
à changer de party ; il n’étoit pas question
de me convertir, mais de m’aprendre mon
catechisme.
Quel plaisir Monsieur d’étudier sous un
maître tel que vous ! J’ay trop tardé à vous
remercier des lumieres et du plaisir que je
vous dois. Avec quelle netteté vous exposez
les raisons de vos adversaires vous les mettez
dans toute leur force pour ne leur laisser
aucune ressource, lorsqu’ensuitte vous les
detruisez. Vous demelez toutes les idées,
vous les rangez chacune à sa place, vous
faites voir clairement le malentendu qu’il
y avoit à dire qu’il faut quatre fois plus de
force pour porter un fardau quatre lieues
que p
r
une lieue, etc. J’admire comme vous
distinguez les mouvements accelerez qui
sont comme le quarré des vitesses et des
temps, d’avec les forces qui ne sont qu’en
raison des vitesses et des temps.
Quand vous avez fait voir par le choc des
corps mous et des corps à ressort (articles
22, 23, 24) que la force est toujours en raison
de la simple vitesse, on croiroit que vous
pouvez vous passer d’autres raisons, et vous
en aportez une foule d’autres. Le numero
vingt huit, etc. est sans replique. Je serois
bien curieux de voir ce que peuvent repondre
à ces preuves si claires les Volfs, les Bernoulli,
et les Mushenbroeks ».
Il parle alors « d’une difficulté d’un autre genre
qui m’occupe depuis quelques jours. Il s’agit
d’une experience contraire aux premiers fon-
dements de la catoptrique. Ce fondement est
qu’on doit voir l’objet au point de concours
du cathete, et du rayon reflechi. Cependant il
y a bien des ocasions où cette regle fonda-
mentale se trouve fausse ». Voltaire dessine
alors un
croquis
, qu’il commente : « Dans
ce cas cy par exemple je devrois par les
regles voir l’objet A au point de concours D.
Cependant je le vois en L.K.I.h.g. successi-
vement à mesure que je recule mon œil du
miroir concave jusqu’à ce qu’enfin mon œil
soit placé en un point où je ne vois plus rien
du tout. Cela ne prouve t’il pas manifeste-
ment que nous ne connoissons point, que
nous n’apercevons point les distances par
le moyen des angles qui se forment dans
nos yeux ? Je vois souvent l’objet tres pres
et tres gros, quoyque l’angle soit tres petit.
Il paroit donc que la teorie de la vision n’est
pas encor assez aprofondie ». Il demande
l’avis de Mairan…
Il ajoute : « Madame la marquise du Chastelet
qui est digne de vous lire (et c’est beaucoup)
trouve qu’il n’y a personne qui soit plus fait
pour faire gouter la vérité que vous. Elle
m’ordonne de vous assurer de son estime
et de vous faire ses compliments »…
Correspondance
(Pléiade), t. I, p. 868.