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les collections aristophil
littérature
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ALEMBERT JEAN LE ROND D’ (1717-1783).
MANUSCRIT autographe,
Aux manes de Mlle de
Lespinasse
, 22 juillet 1776 ; 20 pages petit in-4, montées
sur onglets et interfoliées, reliées en un volume petit in-4
maroquin rouge, double encadrement de palmettes et
fleurons sur les plats, titre doré sur le plat sup., dos orné
(
Devauchelle
).
12 000 / 15 000 €
Magnifique et émouvant témoignage du chagrin de d’Alembert à la
mort de Julie de LESPINASSE (23 mai 1776), et de son désespoir
de découvrir l’amour malheureux de son amie pour le comte de
GUIBERT
.
« Cette lettre inachevée à Julie de Lespinasse, écrite deux mois
après sa mort, est l’un des textes le plus beaux et les plus déchirants
du XVIII
e
siècle. Retrouvé dans les papiers de d’Alembert après son
décès, ce pur sanglot d’amour pour la femme de sa vie est d’une force
d’autant plus poignante qu’elle n’était pas destinée à publication. Le
prestigieux savant européen y met son cœur à nu avec une sincérité
et une authenticité rarement atteintes. C’est à l’absente adorée qu’il
parle d’elle, de lui et de leur relation gâchée, comme il n’a pas pu le
faire avant qu’elle ne meure » (Élisabeth Badinter).
Le manuscrit présente des ratures et corrections, ainsi que des
additions marginales.
« O vous, qui ne pouvez plus m’entendre, vous que j’ai si tendrement
& si constamment aimée, vous dont j’ai cru etre aimé quelques
momens, vous que j’ai preférée à tout, vous qui m’auriez tenu lieu
de tout si vous l’aviez voulu ; helas ! S’il peut vous rester encore
quelque sentiment dans ce sejour de la mort après lequel vous avez
tant soupiré, & qui bientôt sera le mien, voyez mon malheur et mes
larmes, la solitude de mon âme, le vuide affreux que vous y avez fait,
et l’abandon cruel où vous me laissez. Mais pourquoi vous parler de la
solitude où je me vois depuis que vous n’etes plus ! Ah ! mon injuste
et cruelle amie, il n’a pas tenu à vous que cette solitude accablante
n’ait commencé pour moi dans le temps où vous existiez encore.
Pourquoi me repetiez vous dix mois avant votre mort que j’etois
toujours ce que vous cherissiez le plus, l’objet le plus necessaire à
votre bonheur, le seul qui vous attachât à la vie, lorsque vous etiez à la
veille de me prouver si cruellement le contraire ? Par quel motif, que
je ne puis ni comprendre, ni soupçonner, ce sentiment si doux pour
moi, que vous eprouviez peut être encore dans le dernier moment
où vous m’en avez assuré, s’est il changé tout à coup en éloignement
et en aversion ? Qu’avois-je fait pour vous déplaire ? Que ne vous
plaigniez vous à moi, si vous aviez à vous en plaindre ? vous auriez
vu le fond de mon cœur, de ce cœur qui n’a jamais cessé d’être à
vous, lors même que vous en doutiez, et que vous le rebutiez avec
tant de dureté et de secheresse ? Ou plutôt, ma chere Julie (car je
ne pouvois avoir de tort avec vous) aviez vous avec moi quelque tort
que j’ignorois, et que j’aurois eu tant de douceur à vous pardonner si
je l’avois scu ? »... Il n’a pas osé solliciter sa confiance, ces derniers
mois, craignant sa froideur, craignant encore plus d’aggraver son état
affaibli, et, comme Phèdre, il s’est privé de ses pleurs...
Il a fait une découverte cruelle, en exécutant ses dernières volontés.
« Pourquoi ne m’avez vous pas ordonné de bruler sans l’ouvrir, ce
manuscrit funeste, [...] qui m’a appris que depuis huit ans au moins je
n’etois plus le premier objet de votre cœur, malgré toute l’assurance
que vous m’en aviez si souvent donnée ? Qui peut m’assurer après
cette affligeante lecture, que pendant les huit ou dix autres années
que je me suis cru tant aimé de vous, vous n’avez pas encore trompé
ma tendresse ? Helas ! n’ai-je pas eu sujet de le croire, lorsque j’ai
vu, que dans cette multitude immense de lettres que vous m’avez
chargé de bruler, vous n’en aviez pas gardé une seule des miennes ?
[...] Pourquoi dans ce testament dont vous m’avez fait le malheureux
éxécuteur, avez vous laissé à un autre ce qui devoit m’etre le plus
cher, ces manuscrits qui vous auroient rappellée sans cesse à moi,
et où il y avoit tant de choses ecrites de ma main et de la vôtre ? [...]
Adieu, adieu, pour jamais (helas ! pour jamais) ma chere et infortunée
Julie ? Ces deux titres m’interessent bien plus que vos fautes à mon
égard ne peuvent m’offenser ; jouissez enfin (& pour mon malheur
jouissez sans moi) de ce repos que mon amour et mes soins n’ont
pu vous procurer pendant votre vie. Helas ! pourquoi n’avez-vous pu
m’aimer ni etre aimée en paix ! [...] Pourquoi a til fallu que l’amour,
fait pour adoucir aux autres les maux de la vie, fut le tourment et le
desespoir de la vôtre ? [...] Vous me faites eprouver, ma chere Julie,
que le plus grand malheur n’est pas de pleurer ce qu’on aimoit, mais
de pleurer ce qui ne nous aimoit plus, et ce que pourtant on ne peut
plus retrouver. Helas ! j’ai perdu avec vous seize ans de ma vie ; qui
remplira et consolera le peu d’années qui me restent ! »...
Il évoque avec émotion le souvenir de sa nourrice, qui eût su le
consoler de cette solitude amère, et rappelle douloureusement
tout ce qui le rapprochait de Julie : « Tous deux sans parens, sans
famille, ayant eprouvé des le moment de notre naissance l’abandon,
le malheur et l’injustice, la nature sembloit nous avoir mis au monde
pour nous chercher, pour nous tenir l’un à l’autre lieu de tout, pour
nous servir d’appui mutuel, comme deux roseaux qui battus par la
tempête se soutiennent en s’attachant l’un à l’autre. Pourquoi avez
vous cherché d’autres appuis ? »... Il ne lui reste qu’une espérance, et
un « pressentiment secret, qui penetre et adoucit mon ame, m’avertit
que cette fin n’est pas éloignée. Mais hélas ! quand je fermerai mes
yeux pour la derniere fois, ils ne retrouveront plus les vôtres, ils n’en
verront pas même qui donnent des pleurs a mes derniers momens.
Adieu, adieu, ma chere Julie, car ces yeux que je voudrois fermer
pour toujours se remplissent de larmes en traçant ces dernieres lignes,
et je ne vois plus le papier sur lequel je vous écris »...
Ancienne collection R.G. [Robert GÉRARD] (19-20 juin 1996, n° 2).
Bibliographie
Lettres de Mademoiselle de Lespinasse, écrites depuis l’année 1773,
jusqu’
à l
’année 1773
… Nouvelle édition augmentée de l’éloge de Mlle
de Lespinasse, sous le nom d’Élisa, par M. de Guibert, et de deux
opuscules, de d’Alembert (Paris, Ménard et Desenne fils, 1815). – Phi-
lippe de Flers, Thierry Bodin,
L’Académie française au fil des lettres
(Gallimard, Musée des lettres et manuscrits, 2010, p. 149-153, avec
notice de Mme Élisabeth Badinter).