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les collections aristophil

littérature

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LESPINASSE JULIE DE (1732-1776).

L.A., Samedi 4 mai [1771], au marquis

de CONDORCET, à Ribemont ; 3

pages in-4, adresse (légère mouillure,

bris de cachet sans perte de texte).

1 200 / 1 500 €

Belle lettre autographe à Condorcet

.

« [...] je suis tombée dans un etat d’hebete-

ment qui fait que je ne saurois plus souffrir

ni de lire, ni d’ecrire, il me semble que les

livres ne m’aprenent rien et ne m’amusent

point et quant a ce que je peux ecrire, je suis

bien sure que rien ne vaut la peine d’etre

dit ; je me demande presque toujours avant

que d’agir a quoi bon et je n’y trouve rien

a repondre, la plume tombe des mains et

je reste sans mouvement [...] mon ame est

morte a toute espece de dissipation. Il y a une

certaine heure dans la journée, ou je monte

ma machine morale comme je monte ma

montre tous les jours, et puis le mouvement

une fois donné cela va plus ou moins bien.

J’entends dire que je suis gaye et cela me

ravit que sans y mettre de fausseté, mais

seulement le projet de conserver ma societé,

je puisse parvenir a vaincre ma disposition

au point de me faire croire gaye ; ce qu’il y

a de singulier, cest que personne ne demêle

l’effort qu’il me faut pour paroître ce qu’on

me juge etre reellement ; mais c’est qu’on

n’observe gueres dans la société et c’est bien

fait, car il n’y a pas grand chose a gagner »...

Elle parle de leurs amis : l’abbé ARNAUD

qui sera reçu à l’Académie le lundi 13, les

d’Héricourt, M. de Saint-Chamans... « Mr

D’ALEMBERT est mieux, parce qu’il ne tra-

vaille point, il etoit au moment de retomber

dans l’etat ou il a ete l’année dernière »... Elle

ira tout à l’heure à

Bayard

[

Gaston et Bayard

,

tragédie de Pierre-Laurent de Belloy], où elle

est presque sûre de s’ennuyer, quoique cette

pièce ait presque le même succès que

le

Siège de Calais

 : « ce qu’il y a de bon, cest

que tous les gens qui ont l’ame un peu elevée

y pleurent a chaudes larmes »...

Ancienne collection Dina VIERNY (28 octobre

1996, n° 89).

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LESPINASSE JULIE DE (1732-1776).

L.A., samedi 28 septembre [1771], au

marquis de

CONDORCET

, au château

d’Ablois ; 3 pages et quart in-4,

adresse avec cachet de cire rouge

aux armes (petite déchirure à un coin

par bris de cachet).

1 200 / 1 500 €

Belle lettre

rudoyant le mathématicien sur

ses amours malheureuses avec Marguerite

de Meulan

.

[Condorcet séjourne à Ablois chez les

MEULAN depuis le 11 septembre.].

« Vous etes

insuportable

bon Condorcet de

me dire que vous serés bien aise d’avoir de

mes nouvelles avant que de quiter Ablois,

avec cette maniere vous m’otés la liberté de

vous refuser et cependant je suis acablée

d’ecriture, de rhume, et de betise ; il me res-

tera pourtant la force de vous gronder, il me

semble que c’est un tort en vous que d’être

malade, avec un peu de courage votre ame

et votre corps seroient en meilleur etat ; vous

etes en fait d’experience comme lorsque vous

etes sorti du colege ; cependant la reflexion

devroit y supléer ; en un mot il y a une sorte

de foiblesse, qui fletrit l’ame, a attacher son

bonheur a un objet qui ne sera rien pour

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vous tant que vous ne vous reduisés pas a

la simple amitié ; oui allés ches vous, faites

de la geometrie, il n’y a rien qui ne vous soit

meilleur que la conduite que vous tenés

depuis deux mois ; soyés de bonne foi avec

vous même, dites vous bien qu’il faut que

vous guerissiez, et ne revenés a Paris que

lorsque vous croirés y avoir reussi. N’allés

pas despenser inutilement votre sensibilité

et detruire votre santé, ayés un peu de force

pour etre si non heureux, du moins calme.

Tous vos amis gemissent et s’affligent de

la disposition ou vous vous livrés »... Elle

donne ensuite des nouvelles de

TURGOT

,

des

CHOISEUL

, et de divers autres amis...

Ancienne collection R.G. [Robert GÉRARD]

(19-20 juin 1996, n° 57).

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LESPINASSE JULIE DE (1732-1776).

L.A., « ce vendredi » [8 mai 1772], à

Madame Jean-Baptiste SUARD ; 2

pages in-8, adresse avec cachet de

cire noire aux armes brisé.

600 / 800 €

Elle se réjouit de l’élection de Jean-Bap-

tiste SUARD à l’Académie Française

(7 mai

1772) : « je partage votre plaisir avec tant

de verité et d’interet que je serois presque

tentée de croire que vous me devriés aussi

des felicitations ; ayés du moins asses de

bonté pour être bien persuadée qu’il n’y a

que vous au monde a qui je cede l’avantage

de mieux aimer, et de prendre un interet

plus tendre a tout ce qui touche Monsieur

Suard [...] Notre ami le bon CONDORCET

sera sans doute instruit par vous, Madame,

de l’élection de Monsieur Suard ; il merite

de partager tout ce qui vous interesse par

son attachement pour vous »...

[Cette élection sera refusée par Louis XV à

cause des amitiés de Suard avec les ency-

clopédistes ; sa seconde élection le 26 mai

1774 sera validée.]

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LESPINASSE JULIE DE (1732-1776).

Lettre écrite sous sa dictée par

D’ALEMBERT, Paris « ce vendredi »

[10 juillet 1772], au marquis de

CONDORCET à Ribemont ; 3 pages

in-4, adresse (petite mouillure à un

angle inférieur).

1 500 / 1 800 €

Jolie lettre à Condorcet dictée à son

« secrétaire » D’Alembert

.

« Mon secretaire et moi nous vous écrivons

en commun, bon et très bon et trop bon

Condorcet. Nous sommes charmés que

votre santé soit meilleure; mais nous ne

serons pas contens qu’elle ne soit parfaite,

& en consequence nous vous exhortons, & si

besoin est, nous vous enjoignons de travailler

au moral du moins autant qu’au physique ».

Le marquis de MORA « continue à se mieux

porter, il mène même à peu près sa vie

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ordinaire ». Mme de MEULAN a fait une

fausse couche mais va bien. « Mon secretaire

[D’ALEMBERT] recevra & lira avec attention et

avec interêt ce que vous vous proposez de

lui envoyer. Je voudrois que vous lussiez le

discours preliminaire de l’ouvrage de M

r

de

GUIBERT [

Essai sur la Tactique

], je suis sure

qu’il vous feroit grand plaisir ; cela est plein

de vigueur, d’élévation et de liberté. Nous

avons actuellement une pièce de VOLTAIRE,

intitulée

le Dépositaire

, vous la connoissez,

& vous savez ce qu’elle vaut »...

Elle évoque la réception à l’Académie de

deux nouveaux académiciens : BRÉQUIGNY

« a été court et froid, M

r

de BEAUZÉE a

très bien reussi. LA CONDAMINE a lu une

traduction en vers du discours d’Ajax dans

Ovide pour les armes d’Achille, et il a été fort

applaudi. On se divertit d’ailleurs à merveille

& à faire bailler, il y avoit ces jours-ci 4000

personnes au Colisée. L’actrice nouvelle

tragique a été très mal d’une fluxion de poi-

trine ; elle est convalescente, mais elle ne

pourra pas jouer de longtemps. Le tonnerre

est tombé le 27 à Paris, chez mad

e

Ledroit,

il n’a tué personne, mais il n’a pas laissé de

faire du dégât. […] J’ai vu M

r

de GUIBERT

chez moi, il continue à me plaire infiniment ;

j’ai fait connoissance aussi avec M

r

du Tillot,

ministre de Parme, qui surement sera fort à

votre gré, comme au mien. […] Vous manquez

bien à M

r

TURGOT qui est bien mal instruit

de ce qui se passe depuis votre depart »…

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ALEMBERT JEAN LE ROND D’

(1717-1783).

L.A.S. « D’Alembert », Paris 2 juillet

1773, au comte de GUIBERT ; 3 pages

in-4 (copie ancienne jointe).

1 500 / 2 000 €

« Vive votre éloquence, Monsieur ! […] vous

avez donc obtenu ce que vous desiriez tant,

d’assister aux Revues que le Roi de Prusse

doit faire »… D’Alembert va écrire à FRÉDÉRIC

II pour l’engager à entendre la tragédie de

Guibert : « je lui en reparlerai encore, & je ne

negligerai rien pour lui donner cette curiosité,

ne doutant point qu’il ne me remercie quand

il l’aura satisfaite. Je l’engagerai, supposé qu’il

veuille m’en croire, a se delasser par cette

lecture de ses revues de Silesie, et ce sera

d’ailleurs encore un moyen de vous appro-

cher de lui ; plus il vous verra, plus il sentira

tout ce que vous valez ; & independamment

du tendre interêt que je prends à tout ce qui

peut vous toucher, mon amour propre est

interessé à recevoir de ce Prince des remer-

cimens de vous avoir fait connoître à lui ». Il

prie Guibert de le rappeler au souvenir du

Prince

LOUIS

à Vienne : « je ne sais pas s’il

m’aime toujours ; il a mieux a faire que de

me le dire, mais je vous prie d’etre auprès

de lui l’interprète des sentimens de respect

et d’attachement que je lui ai voués » ; ainsi

qu’à l’abbé GEORGEL « secretaire d’ambas-

sade, dont l’obligeante activité pourra vous

être très utile pour les objets d’instruction

que vous vous proposez ».

Il parle enfin de Julie de LESPINASSE, dont

la santé n’est pas très bonne : « Nous parlons

souvent de vous, nous vous aimons, nous

vous regrettons, & nous vous attendons avec

impatience. Revenez bien vite, chargé, non

comme Auguste, des depouilles de l’orient,

mais de celles du nord, qui entre vos mains,

deviendront des dépouilles bien prétieuses »…

Archives du comte de GUIBERT (vente 14

octobre 1993, n° 73).

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