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les collections aristophil

littérature

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LESPINASSE JULIE DE (1732-1776).

L.A., « ce lundi au soir 15 may » [1775],

au marquis de CONDORCET ; 4

pages in-4.

1 500 / 2 000 €

Très belle lettre à Condorcet au moment

des émeutes de la guerre des farines contre

la politique de Turgot

.

Il y avait longtemps qu’elle n’avait reçu de

nouvelles directes de Condorcet... « Mon

dieu oui j’ai souffert, et beaucoup ; j’ai été

frapée de terreur, mon ame ne conoit plus

de mouvement moderé, je croyois tout ce

que je craignois, et pendant huit jours il y

avoit pretexte a tout craindre ; je distinguois

pourtant notre ami [TURGOT] de la chose

publique, mais je tremblois que sa santé ne

succombasse ; oui oui il leur a appris qu’avec

beaucoup de vertus, et beaucoup d’esprit,

il avoit un grand caractere et une ame aussi

forte qu’élevée ; mais ne croyés pas, qu’il ait

vaincu tous ses ennemis, mon ami, personne

sur la terre ne vaincra les sots et les fripons,

on les fait trembler quelques fois, mais rien

ne les fait taire, si vous entendies quelles

betises, quelles mechancetés remplissent

les soupers delicieux de Paris ! Je benis le

ciel qui ma fait prendre le parti de me retirer

du monde, ce qui m’en revient m’en donne

un dégout mortel ». Elle n’est pas allée à la

campagne, pour pouvoir avoir des nouvelles

de Turgot « dix fois par jour et elles m’étoient

necessaires ; et puis voila le mois de may

passé, c’est ce mois que j’aurois voulu jouir

du bon air, et vivre seule. D’ailleurs j’ai sû que

M

r

d’ALEMBERT me cachoit la peine que je

lui faisois, cela m’ote le courage de remplir

mon projet et il me deviendroit d’autant plus

penible à remplir que je crois votre retour

assez prochain ».

Elle raconte ensuite la réception à l’Aca-

démie du duc de DURAS dont le discours

« court, simple, noble et convenable à tous

egards » a été très applaudi ; « celui de M

r

de BUFFON moins mauvais que le dernier,

mais voila tout. L’abbé DELILLE a lu le chant

de Didon qui a été fort aplaudi ; mais ce qui

l’a été à l’excès, c’est l’éloge de Bossuet,

M

r

d’ALEMBERT avait eu l’adresse d’y faire

entrer de justes louanges de la lettre de L.

de Toulouse [LOMÉNIE DE BRIENNE] à ses

curés, et cet endroit a été saisi avec transport

par le public, qui a aplaudi à enfoncer la

salle ; je regrette de n’avoir pas entendu cet

homage rendu à un homme de merite, qui

fait le bien, et avec les vertus de son etat, et

avec les lumieres d’un homme d’etat ; c’est

le plus beau moment de sa vie, car le public

ne le voit point dans le ministere. Ainsi l’éloge

est pur et, quoi qu’il arrive, il n’y aura rien à

y retrancher »...

Puis elle parle de son amant le comte de

GUIBERT qui [à la veille de son mariage] « est

malade, il a la fièvre tres fort, et presque une

inflamation d’entrailles, vous croyés bien que

son sang est bien près de cette disposition,

même en santé. Il n’a pas encore donné son

eloge à la censure »…

Elle termine : « Bon soir, M

r

d’Alembert vous

embrasse de tout son cœur ; et moi je vous

aime comme il vous embrasse ».

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LESPINASSE JULIE DE (1732-1776).

L.A., lundi 9 octobre 1775, au marquis

de CONDORCET ; 4 pages in-4.

1 200 / 1 500 €

Longue lettre remplie de nouvelles de leurs

amis

.

« [...] L’histoire de la princesse de POIX ma

charmée et la circonstance du souflet y ajoute

un interet infini. Ce que vous dites de ce

prince de CROÏ, ce melange de vertus et

de sotises contrastent d’une maniere sin-

guliere. Mais comme vous dites, il est bien

facheux d’être forcé de se moquer de ce

qu’on estime »... Elle parle des réparations

que Condorcet fait faire à sa maison, et

souhaite qu’il n’y laisse pas sa santé : « Il n’y

a plus de bonheur avec de certaine privation,

et quand ce n’est plus qu’a force de vertu, ou

de philosophie qu’on supporte la vie, ce n’est

pas trop la peine d’y rester »... Elle a fait ses

commissions auprès de M. d’ARANDA, et lui

recommande de s’adresser au chevalier de

MAGALLON, qui est conseiller ou président

du Conseil des Indes, à Madrid.

Le comte de GUIBERT « a passé huit jours

ici en revenant de Mets, il a emporté cent

volumes inquarto pour repondre a M. du

Meni Darand, il va ecrire sur l’art de s’egorger

avec plus ou moins de celerité. M

rs

de BRO-

GLIES et toutes les troupes sont entraînés par

l’avis de M

r

de Meni Darand, cependant le

procès n’est pas encore jugé. M

r

de Guibert

va faire le metier de raporteur et d’avocat

general, je lui ai recomandé de se rendre

aussi interessant que M

r

Seguier »...

Elle parle encore de Jean-Baptiste SUARD

qui a été au Havre avec M. et Mme de Vaines,

de TURGOT que Julie n’a point vu depuis

un siècle et qui a été se délasser au Trem-

blai chez sa sœur, de TRUDAINE, de M. de

Saint-Chamans, et du comte de CRILLON qui

n’écrira sans doute pas, car il n’a le temps

de rien, sa fortune et sa femme rempliraient

l’éternité entière. ...« il faut que vous sachiés

que M

de

de Crillon nous disoit il y a deux

jours, qu’elle n’avoit point trouvé d’amour

dans Clarisse ; n’est il pas bien ravissant d’etre

aimé par une ame aussi bien exercée, et qui

se connoit si bien en passion ! Son mari fut

de son avis ; et ce quil y a de facheux, c’est

que ce ne fut point par complaisance – qu’ils

sont heureux ! »...

Ancienne collection R.G. [Robert GÉRARD]

(19-20 juin 1996, n° 67).

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LESPINASSE JULIE DE (1732-1776).

L.A., « Ce mercredi au soir [1775] », [à

Jean-Baptiste SUARD] ; 4 pages in-8.

1 200 / 1 500 €

Belle et intéressante lettre, relative à l’

Éloge

de Catinat

du comte de Guibert, pour lequel

on connaît l’attachement passionné de

Julie de Lespinasse

.

Elle est « vraiment allarmée » de n’avoir point

de nouvelles de son ami M. de Vaines [Jean

DEVAINES, premier commis de Turgot], dont

l’état lui « fait un mal sensible »... Elle s’in-

quiète surtout des paquets que Devaines

doit recevoir de Libourne [où se trouvait

le comte de GUIBERT, lequel venait, au

grand désespoir de Julie de Lespinasse,

d’épouser Alexandrine de Courcelles]. L’un

d’eux contient en effet « des corrections

pour cet éloge de Catinat [que Guibert devait

présenter à un concours de l’Académie],

d’après les bêtes critiques des docteurs de

Sorbonne, et comme il n’y a pas un moment

à perdre pour cette afaire, j’ai pensé que

M

r

de Vaines me pardoneroit la precau-

tion que j’ai prise » ; d’autant qu’il y en aura

d’autres, qu’elle prie qu’on lui fasse porter...

« D’après votre avis je me suis adressée à

l’abbé Copette, et lui, et son confrere Docteur

de Navarre, sont tout aussi intraitables , mais

à la verité un peu moins absurdes que les

docteurs de Sorbonne, j’ai encore envoyé ces

corrections, et de tant de soins et de tant de

censeur, je crois que cela finira par manquer

le concours ; ce ne sera pas ma faute mais

bien celle de M. le chevalier de Chaleton qui

lui a gardé deux mois son ouvrage, pour lui

faire ses observations, c’est à cette ocasion

que j’eus hier une conversation avec lui, et

je vous assure que si VOLTAIRE m’avoit dit

les mêmes choses, je vous aurois mandé

que les talents, et le genie de Voltaire ne

pouvoient pas lui faire pardoner son imper-

tinente vanité ».

Elle a dîné chez Mme GEOFFRIN ; on a

bien regretté Suard… « Le roi a écrit à M

r

de MAUREPAS d’une maniere pleine de

bonté et d’amitié. On ma dit que M

r

TURGOT

revenoit demain ».

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LESPINASSE JULIE DE (1732-1776).

L.A., « ce jeudi six heures du matin »

[1775], à CONDORCET ; 2 pages in-8,

adresse.

1 000 / 1 200 €

Belle lettre à son fidèle ami Condorcet

.

« Je n’ai pas encore dormi, j’ai souffert toute

la nuit, et j’avertis le bon Condorcet que je

n’irai surement pas diner à la campagne. Je

me sens une repugnance effroyable pour

les indifferents et je ne trouverois que cela

à Courbevois. Sil n’y a point de course de

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chevaux au Colisé le bon Condorcet est

prié de venir plus tot que l’heure indiquée,

car je ne sortirai point du tout. Je le prie

aussi d’engager M

r

l’abbé ARNAUD à venir

entendre M

r

d’ALEMBERT, il nous fera grand

plaisir […] Bon jour, ou bon soir, car je vais

essayer de dormir, je me sens triste jusqu’à

la mort. Oui bon Condorcet le someil eternel

me seroit encore meilleur que le plaisir et la

consolation que j’ai à vous voir et cependant

j’en ai beaucoup. Votre bonté, votre amitié

soutiennent mon ame ».