Previous Page  146-147 / 276 Next Page
Information
Show Menu
Previous Page 146-147 / 276 Next Page
Page Background

145

les collections aristophil

littérature

144

JULIE DE LESPINASSE (1732-1776)

et ses amis D’ALEMBERT et le comte de GUIBERT

.

Dans ces lettres revit la personnalité de cette femme d’esprit et de

cœur, dont le salon philosophique rassembla toutes les personna-

lités du temps des Lumières. Elles témoignent des intermittences de

ce cœur tourmenté, partagé entre son fidèle soupirant et secrétaire

D’Alembert, et ses passions brûlantes pour le marquis de Mora et

le comte de Guibert.

Toutes les lettres de ce chapitre, ainsi que les manuscrits du

comte de Guibert décrits ci-dessus, proviennent de la collection

de Philippe de la Motte-Ango, marquis de FLERS (1927-2012).

166

LESPINASSE JULIE DE (1732-1776).

L.A., samedi [11 décembre 1762], à

TURGOT, intendant de Limoges ; 3

pages in-4, adresse avec cachet de

cire rouge.

1 200 / 1 500 €

Belle lettre littéraire et politique

.

La pièce de Michel de CHABANON (

Éponine

)

n’a pas été un succès : « Ses amis l’ont bien

mal servi en annonçant sa tragedie avec tant

d’emphase ; une grande partie des specta-

teurs etoient resolu de la trouver mauvaise,

tous les petits auteurs avoient formé une

cabale, et il a été jugé avec rigueur au point

qu’il a cru sa piece tombée et vouloit la

retirer ». Julie de Lespinasse fait la critique

détaillée de l’ouvrage. Chabanon a apporté

des retouches, mais il y eut peu de monde

à la seconde représentation, et la pièce ne

167

LESPINASSE JULIE DE (1732-1776).

L.A., « ce dimanche soir 8 may »

[1774], au marquis de CONDORCET à

Ribemont ; 3 pages in-4, adresse avec

beau cachet de cire rouge à la devise

Sans toi tout homme est seul

.

1 500 / 2 000 €

Magnifique lettre autographe, deux jours

avant la mort de Louis XV, parlant de sa

sensibilité et de son amant le marquis de

Mora

.

« Ha ! mon dieu qu’il s’en faut bien que le

roi soit hors de danger. Les nouvelles de

cette après diner, cinq heures, sont plus

allarmantes que jamais » ; mais Condorcet

doit avoir des nouvelles par TURGOT…

« Je suis ravie que vos yeux aillent mieux,

au moins vos amis me le disent, car vous ne

m’en dites mot ; vous ne me dites pas si vous

vous baignés. Vous voulés que je vous parle

de moi et pour m’y encourager vous vous

taisés sur vous. Cependant je vous defie de

douter de mon vif et tendre interet ».

Elle n’est pas allée voir

Mélanie

 : « vous savés

bien que pour les choses de dissipation, et

de mouvement je n’ai que la force du projet,

et quand le moment de les executer arrive je

n’ai de desir et de plaisir que d’y manquer.

Ho ! que non je n’ai pas besoin de sortir de

chez moi pour trouver de quoi exercer ma

sensibilité et d’une maniere souvent bien

douloureuse ».

Puis à propos du marquis de Clausonnette :

« l’amitié adoucit tous les chagrins et je crois

qu’il en a, ou quil en aura beaucoup. Hélas ;

il n’est que trop vrai,

tout mortel est chargé

de sa propre douleur

, et

nul de nous na vecu

sans conoitre les larmes

. Vous ne conoitrés

pas celles dont javois voulu faire un sino-

nyme ; je l’ai relu et je l’ai déchiré, tant je l’ai

trouvé mauvais. Il étoit je vous assure à faire

courte qui puisse être menée depuis les

pieds jusqu’à la tête. Je suis bien aise que

vous ayez écrit à madame d’Ablois, je vou-

lois vous le mander ; tout ce qu’elle aime

au monde c’est à ecrire ; ainsi elle vous

mandera toutes les nouvelles, et les votres

lui ont fait grand plaisir. Je vous ai donc fait

une querelle avec Mlle d’Ussé, ce n’étoit

pas mon intention, mais je voulois seule-

ment lui faire sentir tout doucement qu’on

ne doit attendre des soins et des attentions

que de ses amis. Lui mandez vous beau-

coup de nouvelles de Ribemont ! »... Elle lui

reproche de ne pas donner de nouvelles de

sa mère. Quant à elle, elle n’en donne point à

Condorcet, « d’abord parce que je n’en sais

point, en second lieu parce que je pense que

vous ne vous en souciez gueres, en 3

e

lieu

parce que cela est fort ennuyeux, et qu’au

pis aller en se donnant patience on fait tout ;

en quatrieme lieu parce que mon secretaire

est pressé d’aller dîner chez des commeres

au Marais ; car chacun a ses commeres ».

Mme de Brienne craint une fausse couche.

« Adieu, monsieur, mon secretaire ne veut

pas que je vous dise un mot de plus, mais il

ne m’empechera pas de vous aimer de tout

mon cœur ; et il vous dit vale en son nom

car l’amitié n’exige pas tant de verbiage. »

Ancienne collection Dina VIERNY (28 octobre

1996, n° 88).

167

168

durera pas longtemps. Après avoir parlé de

la nomination de M. de Condom [LOMÉNIE

DE BRIENNE] comme archevêque de Tou-

louse, elle en vient au discours du duc de

NIVERNOIS au Roi d’Angleterre à l’occa-

sion de la paix (fin de la Guerre de Sept

Ans) : « ses amis vouloient d’abord la vanter

comme un chef d’œuvre, mais le public leur

a imposé silence en trouvant cette harangue

entortillée sans dignité et sans simplicité,

quelque gens vont plus loin et trouvent que

c’est l’ouvrage d’un ecolier de rhetorique

qui ne seroit pas même competent dans sa

classe ». On est mécontent à Versailles, et

«M. le duc de Choiseuil qui ne l’aime pas en

est bien aise ». Puis elle cite et commente la

lettre de FRÉDÉRIC II de Prusse au Prince

Ferdinand au sujet de la paix : « Hé bien

mon cher prince, voila donc les deux grands

monarques qui ont fait la paix ; il n’y a plus

que les polissons qui fassent la guerre. Quel

polisson que ce prince là. On dit que toute

l’Allemagne tremble actuellement et quil

a deja levé des contributions immenses

jusqu’en Franconie. M. d’ALEMBERT est

enragé contre les Anglois qui a ce quil pre-

tend ont abandoné indescemment les interets

du roi de Prusse, il m’a voulu prouver cela par

les preliminaires imprimé, mais je n’y ai rien

entendu ». Elle termine sa lettre en évoquant

« un nombre infini de mariages qui je pense

ne vous interesseraient point du tout », et en

informant que M. de Chabanon a finalement

retiré sa pièce.

pleurer d’ennui : long, lache et froid et cela

c’est sans me vanter, ni m’humilier, c’est la

vérité exacte, et il est tout aussi vrai que je

ne serai jamais tentée d’avoir avec vous le

ton que j’ai eu une fois avec l’abbé Coyer […]

je trouve que le persiflage est une perfidie

basse et ignoble ».

Puis elle parle de son amant le marquis de

MORA qui devrait bientôt arriver : « mais il etoit

enrhumé, il etoit foible ses crachats avoient

été teints de sang peu de jours avant ; si bien

que dans cette situation je ne suis bien sure

que de sa volonté et de son desir, mais tant

de choses peuvent être contre quil faudra que

je le voye pour croire à son retour. Il est si

malheureux, et moi si peu acoutumée à voir

acomplir mes desirs que je me sens toujours

cette defiance attachée au malheur ».

D’Alembert « embrasse tendrement »

Condorcet, et elle le prie de pardonner ce

« griffonage effroyable »…

168

LESPINASSE JULIE DE (1732-1776).

Lettre écrite sous sa dictée par

D’ALEMBERT, « ce 18 » [septembre ?

1770], au marquis de CONDORCET,

à Ribemont ; 2 pages et quart in-4,

adresse.

1 200 / 1 500 €

Jolie lettre à Condorcet dictée à son

« secrétaire » D’Alembert

.

« Allons, Monsieur, vous estes si docile,

que mon secretaire et moi continuerons à

vous donner de bons avis. Souvenez vous,

comme un grand Geometre que vous etes,

& n’oubliez jamais, quand vous parlez aux

personnes, que la ligne droite est la plus