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les collections aristophil

littérature

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LESPINASSE JULIE DE (1732-1776).

Lettre autographe, jeudi 24 août

[1774], à TURGOT ; 2 pages in-8 (la fin

manque).

1 000 / 1 200 €

Lettre écrite le jour même de la nomination

de Turgot au Contrôle général des Finances

.

« Je ne veux pas vous acabler, Monsieur,

de notre joye, de notre contentement. Vous

voila justement où tous les honêtes gens vous

desiroient, vous allés nous prouver ce qu’il

etoit si dificile de croire jusqu’à vous, que

l’espece humaine est susceptible de perfec-

tibilité, et surtout faite pour le bonheur ; mon

dieu que vous allés etre beni, et du mal dont

vous delivrés et du bien qu’on vous devra ;

que les jours vont couler lentement jusqu’au

moment où l’on poura jouir des bons effets

de votre administration ». Elle conjure Turgot

de prendre soin de sa santé [...] si vous le

pouvés dites un mot au bon CONDORCET

sur l’affaire qui interesse M

r

de GUIBERT, il

est parti pour Montauban persuadé, que

vous auriés la bonté de delivrer cet homme

de l’opression où l’a mise l’injustice […] cet

homme est malheureux, il est en prison, il

souffre »…

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ALEMBERT JEAN LE ROND D’

(1717-1783).

L.A., Paris 9 octobre 1774, au comte

de GUIBERT, « colonel commandant

de la legion corse à Montauban en

Quercy » ; 3 pages in-4, adresse,

cachet de cire noire à son chiffre

couronné (légères rousseurs; copie

ancienne jointe).

2 000 / 2 500 €

Belle lettre se réjouissant de l’arrêt sur

les blés de TURGOT, dont il fait un vibrant

éloge

.

Il sait que Guibert reçoit de Julie de LESPI-

NASSE « des lettres mille fois meilleures en

tout sens que les miennes. Nous avons été

inquiets de votre santé, et des accès de fievre

assez violens que vous avez eus. […] je me

flatte que vous en etes tout à fait delivré, &

je me fais d’avance un grand plaisir de vous

revoir dans un mois. Il me semble que les

honnêtes gens ont plus de choses à se dire

que jamais. En lisant l’arrêt sur les bleds, ils

ont dit comme les matelots,

Terre, terre

, et

si on laisse faire à M

r

TURGOT tout le bien

qu’il desire et qu’il medite, nous dirons dans

quelques années à peu près ce que Piron a

dit du Pere de ce ministre

Peuple, qui vivez à Gogo,

Rendez grace à Monsieur Turgot

Il me semble que le Roi regnant [LOUIS XVI]

a fait par ce seul choix plus de bien que son

predecesseur en 60 ans de regne. Je ne

puis voir actuellement la couverture même

de toutes les oraisons funebres du feu Roi,

dont on nous inonde, sans que le cœur me

souleve, & depuis tout le bien que sa mort

a produit, je ne sais pas si j’aurois même le

courage de lire celle de l’abbé de Boismont.

Les fripons sont dans un état violent, les uns

tremblent et ne s’en vantent pas, les autres

sont assez bêtes pour murmurer ; & je crois

que la méchanceté humaine ne negligera rien

pour traverser les operations bienfaisantes du

nouveau ministere. Mais j’espere que le Roi

prendra dans M

r

Turgot assez de confiance

pour sentir combien un tel homme est pre-

tieux à son royaume, & necessaire pour le

tirer de l’agonie où il etoit. Voilà, monsieur,

de quoi j’aime à m’occuper ; voilà de quoi

j’aimerai à causer avec vous ; voilà ce que je

voudrois dire, imprimer et afficher par tout.

J’espere que l’arrêt sur les bleds servira de

modèle à tous ceux du nouveau regne, et

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LESPINASSE JULIE DE (1732-1776).

L.A., vendredi 24 mars [1775], à

MALESHERBES ; 3 pages in-4.

1 000 / 1 500 €

Charmante lettre accompagnant l’envoi

d’un portrait qu’elle a dessiné

.

« Enfin monsieur, vous voila gueri, je ne vous

ai point importuné de mon chagrin, de mon

inquietude ; j’aurois pourtant soulagé mon

amitié en vous parlant de vos souffrances

et du tendre interet que j’y ai pris ; je la

satisfais en vous disant la joye que je sens

de vous savoir presque en bonne santé.

Je me flatte que vous reviendrés bien tot a

Paris ; je ne vous verrai gueres davantage,

mais au moins je pourai esperer de vous

voir plus souvent ». Elle le remercie de lui

avoir « envoyé du beurre excellent, et cepen-

dant on ne poura pas dire que vous donnés

plus de beurre que de pain ; la semaine

derniere vous m’aviés envoyé des dragées.

J’avois bien prié le bon CONDORCET de

vous en remercier, mais il pouroit bien se

faire qu’après les avoir mangées il les eut

oubliées, cependant il s’etoit chargé de vous

faire souvenir de l’horrible consomation de

bonbons qui se fait ches moi, et de vous

prier en consequence d’être quelques fois

notre pourvoyeur ; mais ce bon Condorcet

aura été retenu par la pensée que vous êtes

acablé de demandes, et il n’aura pas voulu

que je grossisse la foule des importuns ; au

moins je n’ai pas à me reprocher d’être du

nombre de ceux qui vous ecrivent, je sais

qu’il n’y a que deux manieres d’ecrire aux

ministres, ou pour des affaires, ou pour leur

dedier des ouvrages, et je prens ce dernier

parti, je vous dedie non pas un ouvrage,

mais un portrait dont je desire que votre

amitié soit contente ; j’en serai d’autant plus

flattée, qu’en peignant je n’ai songé qu’a etre

vraie, et point du tout à vous faire homage

de cette caricature ; si vous ne la croyés pas

trop indigne de l’original, vous voudrés bien

la lui montrer, vous serés mon premier juge,

et quel que soit votre jugement, je mengage

à passer condamnation ; vous exalteriés

même infiniment mon amour propre, si vous

daigniés me faire quelques critiques ; pardon

de vous detourner si long tems ; mais vous

ne devriés point travailler après diner, et je

fais en sorte que tout ce grifonage ne vous

arrive que dans le moment ou vous ne devés

rien faire. Je porte envie à tous les gens

qui sont asses heureux pour pouvoir aller

à Versailles sans être à charge à personne,

pour moi je suis condamnée a rester à ma

place sous peine de me rendre importune.

Adieu, monsieur, portés vous bien c’est le

desir de mon cœur et ce doit être le vœu

de tous les honêtes gens. M

r

d’ALEMBERT

qui est au moins dans la classe des gens

honêtes, et des honêtes gens se rejouit de

toute son ame de votre meilleur etat et il a

un grand desir de vous voir. »

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qu’au lieu de dire dorenavant

car tel est notre

plaisir

, le Roi dira,

car telle est la justice

.

Cette formule vaudra bien l’autre. Revenez

donc vite, Monsieur, pour vous rejouir avec

vos amis du temps heureux qui commence

à naître. Revenez parler à des gens qui vous

entendent, & surtout qui vous aiment ; je

conçois votre malaise et votre peine dans

la disette de société où vous languissez ;

vous n’êtes en bonne compagnie que quand

vous êtes seul ; mais cette compagnie vous

dedommage bien de toutes celles que vous

n’avez pas, & qui regrettent tant la vôtre.

Rapportez nous les graques [

Les Gracques

,

tragédie en vers de Guibert] que je me fais

un grand plaisir de voir ; revenez consoler

une amie qui vous est tendrement attachée,

et que vous aidez à vivre. Revenez enfin voir

l’homme du monde qui est le plus penetré

d’estime, d’attachement et de respect pour

vous ».

Il ajoute, à propos de la mort du pape CLÉ-

MENT XIV (22 septembre 1774) qui avait signé

le bref de suppression de Jésuites, et des

rumeurs de son empoisonnement : « On

assure que la mort du Pape est un des chefs

d’œuvre de l’apothicairerie jesuitique. J’en

ferai compliment au Roi de Prusse [FRÉ-

DÉRIC II] leur protecteur, et je lui demanderai

s’il n’etablira pas dans leur college une chaire

de Pharmacie. Voilà une année fertile en

evenemens interessans, sans compter ceux

que nous attendons encore. »

Archives du comte de GUIBERT (vente 14

octobre 1993, n° 74).

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