153
Littérature
répond : – D’être un “collaborateur notoire”. Quand je demande qui
m’en accuse, on me répond : – Tout le monde. Mais quand je demande
qui m’a dénoncé, on me répond : – Personne »… Guitry nie, tour à
tour, les chefs d’accusation de « la rumeur publique ».
1° D’avoir été
pro-allemand
: « Élevé dans la haine de l’Allemagne par mon grand-
père, René de Pont-Jest, qui avait fait la guerre de 70, je suis peut-
être le seul auteur dramatique français qui n’ait jamais eu de pièces
représentées en Allemagne – et j’en ai fait cent-quatorze – alors que
je les cédais volontiers à tous les pays du monde » ; et il a toujours
refusé d’être joué en Allemagne…
2° D’être israélite
. Et il cite un mot
cocasse du Grand Rabbin, à qui il était allé demander un « certificat
d’aryanité »…
3° D’avoir reçu chez lui le maréchal Goering
. « C’est faux.
Le maréchal
GOERING
m’a fait un jour chercher chez moi par deux
officiers allemands armés »…
4° D’avoir exposé au foyer du Théâtre
de la Madeleine le buste d’Hitler
: « c’est faux. Il y a dans le foyer du
théâtre de la Madeleine le buste de mon père qui, en effet, ressemble
un peu à M. Mussolini »…
5° D’avoir écrit un livre sur l’Allemagne
:
« Je n’ai fait paraître pendant l’occupation qu’une plaquette en vers
libres qui parle de peinture [
Des goûts et des couleurs
] et un livre
de luxe, intitulé
De 1429 à 1942
. Cet ouvrage raconte cinq cents ans
de Gloire Française. Il est un cri de foi, d’amour et d’espérance.
On ne saurait lui attribuer sans mentir une signification politique ».
Il contient des écrits de G. Duhamel, P. Valéry, J. Cocteau, etc., et
a permis de « verser 4 millions au Secours National ». Guitry réfute
également les accusations d’avoir reçu des officiers allemands sur
la scène ou comme convives, d’avoir écrit ou inspiré les émissions
radiophoniques de M. Hérold-Paquis (« quelle gifle à ma vanité bien
connue ! »), d’avoir servi la propagande allemande, d’avoir reçu le
général von
STÜLPNAGEL
… Quant à la collaboration avec l’ennemi,
Guitry souligne qu’il a refusé devant témoins une proposition de 3
millions de la Continental pour tourner un film, ne désirant « travailler
qu’avec des français », et a traité avec Harispuru pour
Désirée Clary
.
Il a ensuite eu des soucis avec la censure allemande, qui a refusé et
empêché la représentation de deux de ses pièces. Il a subi l’occupation
de ses maisons à Versailles, Saint-Tropez et Cap d’Ail… Etc. Il n’y a
aucun chef d’accusation contre lui, sinon la rumeur publique…
« Collaborateur – c’est bien vite dit. A-t-on l’intention de réunir sous ce
vocable damné tous ceux qui, de 40 à 44, manifestèrent leur activité
professionnelle ? Si c’est cela, que tous les auteurs dramatiques
représentés, que tous les acteurs ayant joué, que tous les écrivains
ayant écrit, que tous les conférenciers ayant parlé, que tous les
prêtres ayant prêché, que tous les danseurs ayant dansé, que tous
les pianistes, que tous les violonistes soient à Drancy eux-mêmes. Et
je vais plus loin. Que tous ceux qui tentèrent en vain de publier leurs
ouvrages, de faire représenter leurs pièces ou de tourner des films
pendant l’occupation soient arrêtés aussi. Ce n’est pas parce que
les Allemands les ont tenus à l’écart qu’ils doivent être considérés
comme des résistants volontaires. Il ne faut pas que leurs échecs
puissent leur conférer le pouvoir aujourd’hui de juger nos actions,
de nous déshonorer et de nous maintenir en prison après avoir
ameuté contre nous l’opinion publique »… Exercer sa profession
sous l’œil de l’occupant était au contraire une manière de résister
à l’emprise étrangère : il cite à ce propos un quatrain que Maurice
Donnay lui adressa le lendemain de la première de
Vive l’Empereur
.
Ayant eu le courage d’exercer sa profession, « j’ai créé un climat à
la faveur duquel d’autres se sont fait jouer – et non des moindres :
Paul Claudel, Édouard Bourdet, Jean Cocteau, Jean Anouilh »… Or
puisqu’aucun d’entre eux n’est aujourd’hui incarcéré, il déduit que
« c’est plutôt quarante années de réussite et de bonheur qu’on ne
me pardonne pas »… Et d’ailleurs on lui en veut surtout du bien qu’il
a fait : 22 représentations de bienfaisance, 9 galas, 10 millions de
secours versés… Quant à avoir « vu des Allemands », il le reconnaît
volontiers, car il avait fallu solliciter, en tant que Président de l’Union
des Arts, l’autorisation de rouvrir les théâtres ; puis, sollicité lui-même
à son tour, il intervint pour faire libérer ou adoucir la détention de
compatriotes tels que le fils de Georges Clemenceau, Mme Henri
Matisse, le fils d’Huguette Duflos, le fils d’Albert Willemetz, Pierre
Masse, etc. Il indique les noms de plusieurs personnalités qui peuvent
servir de témoins de son dévouement, dont Mgr Suhard, archevêque
de Paris… « Que l’on questionne Jean Cocteau et Louis Beydts au
sujet de mes interventions tant pour Marcel Lattès, Jean Wiener,
Reynaldo Hahn, que pour Fernand Ochsé et Max Jacob. Que l’on
questionne Madame la Maréchale Joffre à qui j’ai fait rendre après
huit jours de démarches sa maison de Louveciennes où repose le
corps du Maréchal et que les Allemands, hélas ! occupaient. Pour me
prouver sa reconnaissance la Maréchale m’offrit la médaille militaire
et le fanion du vainqueur de la Marne. Que l’on questionne enfin
Tristan Bernard qui grâce à moi, grâce à moi seul, n’est resté que
trois jours
à Drancy parce que je me suis offert à y prendre sa place.
Cette place, je l’occupe aujourd’hui – mais bien contre mon gré ! »
ON JOINT
: la copie dactylographiée faite par le commissaire Duez
(9 p. in-4) ; une dactylographie établie par la secrétaire de Guitry,
intitulée
Ma Défense
(21 p. in-4), et signée 2 fois au crayon, version
un peu différente et augmentée, notamment d’un post-scriptum daté :
« Prisons de Fresnes, le 20 octobre 1944 », révélant la découverte d’un
dossier du bureau de Propagande et Censure allemandes concernant
sa pièce
Le Dernier Troubadour
, refusée par le Lieutenant Luckt car
elle « serait un véritable régal pour les Gaullistes ».
Ancienne collection André BERNARD (
Sacha Guitry, la collection
André Bernard
, 2011, n° 586).