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Littérature

répond : – D’être un “collaborateur notoire”. Quand je demande qui

m’en accuse, on me répond : – Tout le monde. Mais quand je demande

qui m’a dénoncé, on me répond : – Personne »… Guitry nie, tour à

tour, les chefs d’accusation de « la rumeur publique ».

1° D’avoir été

pro-allemand 

: « Élevé dans la haine de l’Allemagne par mon grand-

père, René de Pont-Jest, qui avait fait la guerre de 70, je suis peut-

être le seul auteur dramatique français qui n’ait jamais eu de pièces

représentées en Allemagne – et j’en ai fait cent-quatorze – alors que

je les cédais volontiers à tous les pays du monde » ; et il a toujours

refusé d’être joué en Allemagne…

2° D’être israélite

. Et il cite un mot

cocasse du Grand Rabbin, à qui il était allé demander un « certificat

d’aryanité »…

3° D’avoir reçu chez lui le maréchal Goering

. « C’est faux.

Le maréchal

GOERING

m’a fait un jour chercher chez moi par deux

officiers allemands armés »…

4° D’avoir exposé au foyer du Théâtre

de la Madeleine le buste d’Hitler 

: « c’est faux. Il y a dans le foyer du

théâtre de la Madeleine le buste de mon père qui, en effet, ressemble

un peu à M. Mussolini »…

5° D’avoir écrit un livre sur l’Allemagne

 :

« Je n’ai fait paraître pendant l’occupation qu’une plaquette en vers

libres qui parle de peinture [

Des goûts et des couleurs

] et un livre

de luxe, intitulé

De 1429 à 1942

. Cet ouvrage raconte cinq cents ans

de Gloire Française. Il est un cri de foi, d’amour et d’espérance.

On ne saurait lui attribuer sans mentir une signification politique ».

Il contient des écrits de G. Duhamel, P. Valéry, J. Cocteau, etc., et

a permis de « verser 4 millions au Secours National ». Guitry réfute

également les accusations d’avoir reçu des officiers allemands sur

la scène ou comme convives, d’avoir écrit ou inspiré les émissions

radiophoniques de M. Hérold-Paquis (« quelle gifle à ma vanité bien

connue ! »), d’avoir servi la propagande allemande, d’avoir reçu le

général von

STÜLPNAGEL

… Quant à la collaboration avec l’ennemi,

Guitry souligne qu’il a refusé devant témoins une proposition de 3

millions de la Continental pour tourner un film, ne désirant « travailler

qu’avec des français », et a traité avec Harispuru pour

Désirée Clary

.

Il a ensuite eu des soucis avec la censure allemande, qui a refusé et

empêché la représentation de deux de ses pièces. Il a subi l’occupation

de ses maisons à Versailles, Saint-Tropez et Cap d’Ail… Etc. Il n’y a

aucun chef d’accusation contre lui, sinon la rumeur publique…

« Collaborateur – c’est bien vite dit. A-t-on l’intention de réunir sous ce

vocable damné tous ceux qui, de 40 à 44, manifestèrent leur activité

professionnelle ? Si c’est cela, que tous les auteurs dramatiques

représentés, que tous les acteurs ayant joué, que tous les écrivains

ayant écrit, que tous les conférenciers ayant parlé, que tous les

prêtres ayant prêché, que tous les danseurs ayant dansé, que tous

les pianistes, que tous les violonistes soient à Drancy eux-mêmes. Et

je vais plus loin. Que tous ceux qui tentèrent en vain de publier leurs

ouvrages, de faire représenter leurs pièces ou de tourner des films

pendant l’occupation soient arrêtés aussi. Ce n’est pas parce que

les Allemands les ont tenus à l’écart qu’ils doivent être considérés

comme des résistants volontaires. Il ne faut pas que leurs échecs

puissent leur conférer le pouvoir aujourd’hui de juger nos actions,

de nous déshonorer et de nous maintenir en prison après avoir

ameuté contre nous l’opinion publique »… Exercer sa profession

sous l’œil de l’occupant était au contraire une manière de résister

à l’emprise étrangère : il cite à ce propos un quatrain que Maurice

Donnay lui adressa le lendemain de la première de

Vive l’Empereur

.

Ayant eu le courage d’exercer sa profession, « j’ai créé un climat à

la faveur duquel d’autres se sont fait jouer – et non des moindres :

Paul Claudel, Édouard Bourdet, Jean Cocteau, Jean Anouilh »… Or

puisqu’aucun d’entre eux n’est aujourd’hui incarcéré, il déduit que

« c’est plutôt quarante années de réussite et de bonheur qu’on ne

me pardonne pas »… Et d’ailleurs on lui en veut surtout du bien qu’il

a fait : 22 représentations de bienfaisance, 9 galas, 10 millions de

secours versés… Quant à avoir « vu des Allemands », il le reconnaît

volontiers, car il avait fallu solliciter, en tant que Président de l’Union

des Arts, l’autorisation de rouvrir les théâtres ; puis, sollicité lui-même

à son tour, il intervint pour faire libérer ou adoucir la détention de

compatriotes tels que le fils de Georges Clemenceau, Mme Henri

Matisse, le fils d’Huguette Duflos, le fils d’Albert Willemetz, Pierre

Masse, etc. Il indique les noms de plusieurs personnalités qui peuvent

servir de témoins de son dévouement, dont Mgr Suhard, archevêque

de Paris… « Que l’on questionne Jean Cocteau et Louis Beydts au

sujet de mes interventions tant pour Marcel Lattès, Jean Wiener,

Reynaldo Hahn, que pour Fernand Ochsé et Max Jacob. Que l’on

questionne Madame la Maréchale Joffre à qui j’ai fait rendre après

huit jours de démarches sa maison de Louveciennes où repose le

corps du Maréchal et que les Allemands, hélas ! occupaient. Pour me

prouver sa reconnaissance la Maréchale m’offrit la médaille militaire

et le fanion du vainqueur de la Marne. Que l’on questionne enfin

Tristan Bernard qui grâce à moi, grâce à moi seul, n’est resté que

trois jours

à Drancy parce que je me suis offert à y prendre sa place.

Cette place, je l’occupe aujourd’hui – mais bien contre mon gré ! »

ON JOINT

 : la copie dactylographiée faite par le commissaire Duez

(9 p. in-4) ; une dactylographie établie par la secrétaire de Guitry,

intitulée

Ma Défense

(21 p. in-4), et signée 2 fois au crayon, version

un peu différente et augmentée, notamment d’un post-scriptum daté :

« Prisons de Fresnes, le 20 octobre 1944 », révélant la découverte d’un

dossier du bureau de Propagande et Censure allemandes concernant

sa pièce

Le Dernier Troubadour

, refusée par le Lieutenant Luckt car

elle « serait un véritable régal pour les Gaullistes ».

Ancienne collection André BERNARD (

Sacha Guitry, la collection

André Bernard

, 2011, n° 586).