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Littérature

relèverons à titre d’exemples quelques passages biffés. Ainsi, à propos

des cicatrices d’Antonio : « Ces trois blessures des villages étaient

devenues trois touches à goûter le temps. Là, la peau plus fine sentait

l’orage de loin. Les lourdes pluies poussaient l’air devant elles, cet

air touchait une cicatrice d’Antonio et il savait » (p. 23). Sur la page

30 

bis

, une addition est ensuite biffée : « Au village de Villevieille la

cigogne faisait son nid dans une cheminée. Elle savait que la maison

était vide. Elle avait guetté longtemps la jeune femme par la fenêtre.

Elle savait que le baluchon était prêt sur la chaise. Cette nuit, elle

avait entendu frapper à la porte et le garçon était venu. Ce matin en

regardant à travers les vitres elle avait vu l’âtre froid, les murs nus,

les tiroirs de la commode vides. Sur les routes qui menaient à la

montagne, un vol de gélinottes rencontra un homme et une femme

qui marchaient. Ils étaient jeunes tous les deux. Ils allaient bon pas

puis ils s’arrêtaient ils ouvraient leurs bras comme des ailes et ils se

serraient l’un contre l’autre un bon moment. L’affaire des gélinottes était

dans le sud ». Un paragraphe à la fin du chap. I,

iii

a été soigneusement

biffé à l’encre. Un faux début du chap. I,

vi

a été biffé au crayon noir :

« Vers le milieu de la matinée, Antonio entendit, là-bas devant, dans

la direction où ils marchaient comme le bruit d’une grosse flûte.

Parfois, ça semblait aussi un chant, mais on imaginait mal le gosier.

Le premier jour, ils avaient remonté le long du fleuve en suivant les

alluvions et le bord des boues. Là, le terrain était trop mou pour les

bœufs, ils étaient sûrs d’être tranquilles » (p. 83). Relevons encore une

description de Villevieille (p. 131), etc. Parfois, les suppressions sont

plus importantes encore : ainsi, vers la fin du chap. II,i, trois pages

sont biffées à la plume et au crayon bleu, lorsque le besson remet

ses plaques après le coup de feu et observe, dont nous ne citerons

que les deux premières phrases : « Le besson portait en lui, comme

une source de joies et de douleurs très personnelles la faculté de

voir dans les choses le côté habituellement dans l’ombre. Il avait été

réjoui tout le long de sa jeunesse par le ventre blanc des crapauds,

sensible et délicatement doré, la mystérieuse pulsation qui court

dans une longue procession de chenilles aveugles »… (p. 170-173).

Bibliographie

 : Jean Giono,

Œuvres romanesques complètes

,

tome II, (Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1972),

Le Chant du

monde

(p. 187-412 ; Notice et notes de Pierre Citron, p. 1261-1323).

Pierre Citron,

Giono

(Seuil, 1990, p. 190-196).

Provenance

 : Roland Saucier, Librairie Gallimard ; acquis par

Marcel BERGEON (Le Locle) en octobre 1951 à la Librairie Gallimard

(correspondance jointe entre Marcel Bergeon et Henri Godard, 1980).