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Littérature

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HUGO Victor (1802-1885).

7 L.A.S. « Victor », Paris 1821-1826, à son père le général

Léopold HUGO à Blois ; 22 pages in-4 ou in-8, adresses,

montées sur onglets entre des feuilles de papier vélin, le

tout relié en un volume petit in-4, maroquin vert foncé

janséniste, dentelle intérieure, tranches dorées, étui

(

Noulhac

).

10 000 / 15 000 €

Précieux recueil de lettres de jeunesse à son père, qui suivent de

façon émouvante l’entrée de Victor Hugo dans l’

âge d

’homme,

avec ses deuils et ses joies : la mort de sa mère, la folie de son

frère Eugène, son mariage, ses premiers grands succès littéraires

.

28 juin 1821

.

Mort de sa mère

. « Mon cher papa, Nous avons une

nouvelle affreuse à t’annoncer. Aujourd’hui que tout est fini et que

nous sommes plus calmes, je trouverai des expressions pour te

l’apprendre. Tu sais bien que maman était malade depuis longtems.

Eh bien ? hier, à 3 heures de l’après-midi, après trois années de

souffrances, un mois de maladie et huit jours d’agonie, elle est morte.

Elle a été enterrée aujourd’hui à six heures du soir. Notre perte est

immense, irréparable. Cependant, mon cher papa, tu nous restes

et notre amour et notre respect pour toi ne peuvent que s’accroître

de ce qu’il ne nous reste plus qu’un seul être auquel nous puissions

reporter la tendresse que nous avions pour notre vertueuse mère.

Dans cette profonde douleur, c’est une consolation pour nous de

pouvoir te dire qu’aucun fiel, aucune amertume contre toi n’ont

empoisonné les dernières années, les derniers moments de notre

mère. Aujourd’hui que tout disparaît devant cet horrible malheur, tu

dois connaître son âme telle qu’elle était, elle n’a jamais parlé de toi

avec colère, et les sentiments profonds de respect et d’attachement

que nous t’avons toujours portés, c’est elle qui les a gravés dans notre

cœur. […] Elle a expiré dans nos bras, plus heureuse que nous. Nous

ne doutons pas, mon cher papa, que tu ne la pleures et la regrettes

avec nous, pour nous et pour toi. Il ne nous appartient pas, il ne nous

a jamais appartenu de mêler notre jugement dans les déplorables

différends qui t’ont séparé d’elle, mais maintenant qu’il ne reste plus

d’elle que sa mémoire pure et sans tache, tout le reste n’est-il pas

effacé ? »… Leur mère ne leur laisse rien. « Les frais de sa maladie et

de son enterrement ont bien outrepassé nos faibles moyens, le peu

d’objets de prix qui nous restaient, comme argenterie, montre, &c.,

ont disparu, et à quel meilleur usage pouvaient-ils être employés ? »

Ils doivent encore payer le médecin et diverses dettes… « Nous allons,

si telles sont tes intentions, nous hâter d’achever notre droit, que la

maladie de maman nous avait fait suspendre pendant quelque tems.

Nous gagnerons quelque peu de chose par nous-mêmes, afin de

t’alléger le fardeau. […] Adieu, mon cher papa, je t’embrasse au nom

de mes frères abîmés comme moi dans la douleur. Ton fils soumis

et respectueux, Victor ». Abel Hugo ajoute 9 lignes.

11 avril 1822

.

Sur la folie de son frère Eugène

. « Depuis hier nous

sommes dans la désolation. Il y a bien longtems qu’Eugène était

tout à fait changé pour nous. Son caractère sombre, ses habitudes

singulières, ses idées bizarres avaient mêlé de cruelles inquiétudes

aux dernières douleurs de notre mère bien-aimée. […] Depuis la perte

de notre pauvre mère il avait cessé de témoigner à ses frères et à ses

amis aucune affection. – Avant-hier enfin, il a disparu, nous laissant

un billet froid et laconique […] Nous nous perdons en conjectures et

en recherches ; depuis longtems nous remarquions qu’il sortait à des

heures extraordinaires, nous empruntait notre argent […] Pourquoi faut-il

que ce dernier acte de folie nous force à te révéler ce que nous aurions

voulu te laisser toujours ignorer, afin de t’épargner au moins celle-là

d’entre les souffrances de notre mère ? » Eugène risque d’envoyer à

son père « une lettre qui serait marquée au coin de la plus inexplicable

ingratitude si elle n’était dictée par la démence. Rappelle-toi, mon

cher papa, toute ta tendresse de père, toute ton indulgence d’ami ;

Eugène a un excellent cœur, mais la position incompréhensible où il

paraît placé le force à chercher des prétextes bons ou mauvais pour

colorer sa conduite. Peut-être ton fils, qui semble avoir été entraîné

par des liaisons funestes, sortira-t-il pur et honorable de l’abîme où

nous le croyons tombé. […] Eugène a un bon cœur, il reconnaîtra

sa faute ; en attendant, plaignons-le et plains-nous comme nous te

plaignons »… Abel Hugo cosigne la lettre.

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