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68

274.

Marcel PROUST

. L.A.S., Lundi [9 février 1920], à Maurice

L

evaillant

au

Figaro

 ; 7 pages in-8, enveloppe. 2 500/3 000

B

elle

lettre

inédite

, après l’article de Maurice Levaillant dans

Le Figaro

du 8 février, « Les Petites Polémiques. Du côté de chez les

Goncourt ».

Il remercie son « cher Confrère » de sa charmante lettre, et aurait voulu le remercier de vive voix. Il a fait téléphoner au

Figaro

pour

lui demander de venir dîner. « Mais vous n’y étiez pas. Je me suis levé après le dîner et je suis allé au

Figaro

très tard (pour la 1

ère

fois

depuis la mort de

C

almette

 !). Mais vous n’y étiez pas et on m’a dit que vous ne veniez jamais à ces heures là ». Il n’a pas voulu déranger

Henri

V

onoven

qui était « à sa “mise en page” ; et comme je n’avais rien à lui dire et que je lui aurais seulement exprimé le plaisir de

le retrouver après si longtemps j’ai trouvé plus gentil de ne pas le déranger ». Il remercie Levaillant de son article

Du côté de chez les

Goncourt

 : « j’ai cru comprendre que vous aviez bien voulu prendre de la peine, non seulement pour le faire, mais pour le “faire paraître”.

J’y ai de plus trouvé de

très jolies

choses. Mais malgré cela laissez-moi vous dire que j’ai été un peu désappointé. […] il semble ne pas

m’être favorable. Je vous expliquerai de vive voix pourquoi. Nous n’en sortirions pas si nous entrions par correspondance dans cette

discussion. D’ailleurs je ne peux que vous remercier puisque me donnant, malgré vous, moins que je ne souhaitais, vous m’avez donné

beaucoup plus, un véritable article construit et plein de talent, alors que je pensais seulement à un “A travers les Revues”. Seulement à

cela je pense beaucoup ». Il regrette que Levaillant n’ait cité aucun des articles qu’il lui avait envoyés, « ni le mien sur

F

laubert

. Nous n’y

pouvons plus rien. Mais je voudrais (puisque vous comptez parler de l’article de Jacques

R

ivière

, et du mien sur Venise), bien décider

avec vous la manière pratique de ne pas échouer cette fois comme la 1

ère

. Le second échec serait d’ailleurs plus grave pour moi que le 1

er

,

puisque à votre 1

er

A travers les Revues vous avez substitué un

article

, ce qui, en somme, est la mariée trop belle du dicton, tandis que

si le second A travers les revues ne paraissait pas, vous ne pourriez plus recommencer un nouvel article pour en donner un équivalent

plus prestigieux ». Il tient beaucoup à ce que

le Figaro

« donne des extraits de l’article de Rivière » (retardé par une grève d’imprimeurs)

et de son propre article sur Venise dans

Feuillets d’art

, et demande à qui il doit s’adresser pour cela, et comment : « Rien qu’en me disant

ce que je dois demander et à qui je dois le demander vous me serez fort utile »…

275.

Marcel PROUST

. L.A.S., Dimanche [21 et 25 février 1920], à Maurice

L

evaillant

au

Figaro

 ; 8 pages in-8, enveloppe.

5 000/7 000

I

mportante

lettre

inédite

sur

la

suite

de

son œuvre

,

S

odome

et

G

omorrhe

,

l

homosexualité

et

la morale

.

Il a fait téléphoner en vain « toutes les heures » au

Figaro

pour tenter de joindre son « cher Confrère » : « Le but du téléphonage était de

vous demander de venir dîner avec

G

ide

et Polignac. Je regrette cette “partie remise”, pour des raisons tout intéressées. La première était

d’avoir enfin le plaisir de vous connaître ce que rend si difficile, non mes “manies”, mais un état de santé qui va s’aggravant ; la seconde

de vous dissuader de consacrer une chronique plutôt qu’un “A travers les Revues” aux articles que je vais vous envoyer. La troisième

était que plein de remords d’être la cause involontaire que vous ayez respiré l’atmosphère méphitique d’une basse correspondance, il

me semblait qu’au contact de tel ou tel de mes amis vous seriez transporté à une altitude plus rapprochée de la vôtre, et de laquelle les

médisances dont vous me parlez n’auraient même plus été perceptibles ».

Il a dû interrompre sa lettre, et la reprend après « quatre jours de trop grande souffrance physique […] Je dois vous dire (mais ceci, entre

nous deux n’est-ce pas, je tiens absolument à ne pas avoir l’air de m’excuser d’avance, et je ne veux pas que le plus léger renseignement

transpire sur les ouvrages à paraître) que vos correspondants se trompent en croyant que je suis dans

Sodome et Gomorrhe

l’apologiste

de la “sodomie et du tribadisme”. À mon grand regret, car j’aurais voulu être impartial, peindre sans juger, je me trouve forcé par la

logique de mes personnages, d’en sembler le détracteur. Encore une fois, ce n’était pas mon désir. Mais je vous expliquerai de vive voix

comment, mené par les caractères décrits, j’ai donné une impression de fléchir, de fléchir progressivement et de plus en plus, qui me

contrarie autant que de donner l’impression contraire. Je ne suis pas plus pour l’art moralisateur que pour l’art immoral (ce qui ne veut

pas dire non plus, je suis un partisan de l’Art pour l’Art ; je suis si vous voulez partisan de l’Art seul moyen de réaliser la Vérité). Du

reste soyons tranquilles : vos correspondants seront choqués tout de même, car si ma peinture est hélas tendancieuse (contre les modèles)

elle n’en est pas moins d’une crudité qui suffira à choquer. […] Je pense que l’Académie Goncourt, la N

elle

Revue F

çaise

ont dû recevoir

des torrents de lettres de ce genre mais comme ils ne m’en ont pas parlé, je n’ai pu demander de qui elles étaient. En tous cas je vous en

prie pas d’allusions ni privée ni encore moins imprimée, à

Sodome et Gomorrhe

 ».

Puis il évoque les fonctions de professeur de Levaillant : « je vous trouve injuste pour elles en disant “primum vivere”. Car il me

semble que rien ne peut être plus intéressant, j’ai toujours rêvé autrefois d’être professeur. Mais si le “primum vivere” joue un rôle,

pourquoi ne pas me permettre (sans en méconnaître pour cela le caractère très élevé et diminuer en quoi que ce soit ma reconnaissance)

de rétribuer la publicité que vous me faites. Ce serait une joie pour moi de tendre la main à un confrère aussi sympathique. Et je ne vois

ce qu’il y a là dedans de plus choquant pour vous, que d’être rétribué par le journal lui-même. Je vous le dis en toute simplicité. Comme

quelqu’un qui ne connaît nullement les habitudes de la presse. Mais si je m’en rapporte à mon sentiment personnel et cordialement

proposé comme je le fais, rien ne me semble plus naturel. Je suis un confrère, je ne dis pas un banquier ou un homme politique, il s’agit

d’aider à l’appréciation plus juste d’une œuvre d’art. Je vous laisse juge »...

O

n

joint

3 télégrammes de Proust à Levaillant :

[20.II

 ? 1920], il ne peut le voir mercredi mais « je vous écrirai ce que je souhaite »… ;

[25.II.1920], il lui fait déposer au

Figaro

des articles, dont celui de Rivière et le n° de Feuillets d’art ; [1.III.1920], le remerciant de

son « bien joli » article [29 février, « Quelques revues. Lectures françaises »] : « je suis tout à fait de votre avis sur les romantiques et

les classiques. Le romantisme vous a d’ailleurs fourni une passerelle charmante un rialto entre les deux parties si bien équilibrées »…

Plus une lettre du Dr F. Vallon (Vincennes 8 février 1920) à Levaillant, lui reprochant de faire l’éloge « du futur auteur de

Sodome et

Gomorrhe

 », apologiste des « vices contre nature », et critiquant vivement les volumes déjà parus.