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Stendhal, lecteur de Manzoni

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STENDHAL.

Lettre adressée à Sophie Duvaucel.

Sans lieu

[Paris],

mercredi matin

[21 mars 1827].

Lettre autographe signée “H. Beyle” ; 3 pages ½ in-12.

Importante lettre à propos des

F

iancés

de Manzoni, le chef d’œuvre du romancier lombard.

Il vient d’obtenir le troisième volume du roman chez le général La Fayette, surnommé le “grand citoyen” :

O ingratitude ! hier, chez le grand citoyen, j’ai essuyé toute la conversation d’un ennuyeux pour avoir le 3

ème

volume des

Sposi

promessi.

Il y a un obstacle, il n’existe pas ou du moins M. Manzoni n’a publié que la première moitié de ce 3

e

volume. Il trouve son roman

ennuyeux et l’on dit qu’il ne le finira pas.

J’ai entrevu chez vous, Mademoiselle, un homme qui est mon ennemi par ceque j’ai dit devant lui un projet un peu trop viril.

M. Ugoni de Brescia est l’ homme de Paris qui peut le plus probablement vous placer vis-à-vis cette première moitié du 3

e

volume.

M. Fauriel, le seul savant non pédant de Paris, l’ancien ami de Mme de Condorcet, est l’intime de M. Manzoni et fait traduire

Gli Sposi par un M. Trognon. Ce Mr. Trognon est le frère du précepteur de Monseigneur le duc de Beaujoulais ou le prince de

Joinville, ou bien c’est le précepteur lui-même. Ces princes habitent le palais royal. M. Fauriel va chez mlle Clarke, où Mme

Alexander pourrait peut-être lui parler.

Mais que je suis fou de faire la leçon à une française sur les moyens ingénieux de mener à bien une affaire de ce genre ! (M. Trognon

est du Globe)

.”

Si Stendhal fait volontiers référence au roman de Manzoni dans

Rome, Naples et Florence

,

les Promenades dans Rome

ou

Napoléon,

son côté édifiant a dû lui déplaire. Aussi caractérise-t-il l’auteur dans ses

Mélanges de littérature

, “d’excessivement

dévot” et trouve-t-il

Les Fiancés

“beaucoup trop loué”, même s’il reconnaît qu’ils peignent fort bien l’existence des

bravi

sous le gouvernement espagnol.

Victime de son manque d’organisation, il a égaré une lettre de l’avocat anglais Sutton Sharpe leur ami commun :

Je pourrais mentir plus ou moins adroitement ; j’aime mieux avouer noblement que dimanche matin dès midi, j’ai été réveillé

et emmené et je n’ai plus songé à la lettre Sharpe. Le difficile est de la retrouver. J’ai déménagé, le désordre et moi nous ne faisons

qu’un, etc. Cependant je vais me mettre à chercher.

Et Stendhal de s’excuser :

J’ai bien peur que ma lettre ne vous semble abrupte. Etant naturelle, elle serait passable pour une Italienne ; voilà pourquoi je

n’attends que la mort de M. de Metternich pour retourner sur les bords du lac de Como.

Sophie Duvaucel (1789-1867), belle-fille de Georges Cuvier, fut une des figures les plus attachantes du groupe du Jardin

des Plantes. Elle assista fidèlement le naturaliste dans ses travaux. Elle passa longtemps pour la fiancée de Sutton Sharpe.

Ce n’est qu’à la mort de Cuvier qu’elle épousa le préfet maritime de Lorient. Stendhal l’appelait “Mon amie tout court” – elle

compta en effet parmi ses amies les plus fidèles – ou “Mademoiselle Mammouth”.

(Stendhal,

Correspondance

II, Bibliothèque de la Pléiade, n° 839.)

3 000 / 4 000