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WILDE, Oscar.

Salomé

. Drame en un acte.

Paris, Librairie de l’Art indépendant, Londres, Elkin Mathews et John Lane,

1893

.

In-8 [203 x 154 mm] de 84 pp., (2) ff., le dernier blanc : broché, couvertures violettes, titre en

lettres argentées sur le premier plat, non rogné.

Édition originale.

Drame écrit directement en français à l’intention de Sarah Bernhardt : il est dédié “à mon ami

Pierre Louÿs” qui avait été sollicité avec Marcel Schwob pour en corriger les épreuves.

Un des 50 exemplaires sur vergé de Hollande van Gelder, seul tirage de luxe.

Interdite en Angleterre, Oscar Wilde ne vit jamais sa pièce représentée et rien ne le consolait de

n’avoir pu unir son nom à celui de Sarah Bernhardt. Il était en prison lorsqu’elle fut créée au

théâtre de l’Œuvre par Lugné-Poe, le 11 février 1896.

Les couvertures mauves imprimées en argent, très fragiles, sont presque toujours décolorées,

comme ici. L’apôtre de l’esthétisme avait exigé un ton “pourpre tyrien” qui s’harmonisât à la

chevelure dorée d’Alfred Douglas : “Bosie is very gilt-haired and I have bound

Salomé

in purple

to suit him.”

Précieux envoi autographe signé en regard du faux-titre :

à mon cher ami

André Gide

Oscar Wilde

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La rencontre d’Oscar Wilde fut, pour André Gide, capitale. Ils firent connaissance en novembre

1891 : Wilde était alors âgé de 37 ans, Gide avait 22 ans. Le jeune homme fut fasciné : “L’esthète

Oscar Wilde, ô admirable, admirable celui-là” confesse-t-il à Paul Valéry. Il porte peu après

dans son

Journal

un jugement plus sévère : “Avec lui, j’avais désappris de penser.” Leur nouvelle

rencontre en Algérie en 1895, dont Gide fit le récit dans

Si le grain ne meurt

, devait bouleverser la

vie du romancier : grâce à Wilde qui joua le rôle d’entremetteur, Gide put devenir ce qu’il était.

“Depuis, écrit-il plus tard, chaque fois que j’ai cherché le plaisir, ce fut courir après le souvenir de

cette nuit.” (

Oscar Wilde

, Paris, Musée du Petit Palais, 2016, p. 229.)

Gide fut, avec Robert Ross, l’un des rares à rester fidèle à Oscar Wilde à la fin de sa vie. Après

sa mort, il lui consacrera un livre poignant, paru au Mercure de France (1910) :

Oscar Wilde, in

memoriam (Souvenirs)

.

On joint une importante lettre autographe signée du dédicataire de Salomé, Pierre Louÿs,

adressée à l’auteur, le 23 avril 1894 :

Monsieur,

Je vous envoie avec cette lettre le manuscrit de Salomé, que vous m’aviez si gracieusement donné, mais que

je n’aurais pas dû conserver après avoir cessé de vous voir.

Des amitiés

singulières

Vous devez posséder encore quelques longues lettres de moi ; bien qu’elles n’aient aucun intérêt, je serais

heureux de les recevoir et je vous sais trop loyal pour vous y refuser.

Je tiens les vôtres à votre disposition.

Veuillez agréer, Monsieur, l’expression de mes sentiments respectueux.

Pierre Louÿs.

23 avril 94.

Lettre glaciale : la rupture entre les deux hommes est consommée et Louÿs entend mettre ses

affaires en ordre. On sait que leur amitié fut de courte durée. S’estimant compromis par la

dédicace imprimée en tête de

Salomé

, “à mon ami Pierre Louÿs”, ce dernier ne remercia que par

un télégramme désinvolte qui heurta l’auteur : “Comme vous me déconcertez ! Eussiez-vous

cablé :

Je vous remercie

que cela eût suffi. C’est une nouveauté pour moi d’apprendre que l’amitié

est plus fragile que l’amour.”

En réalité, si Louÿs fut un érotomane invétéré, il détestait l’homosexualité masculine : lorsqu’il

découvrit lors d’un voyage à Londres les préférences de Wilde, il s’empressa de rompre.

Assurément, l’un des plus précieux exemplaires de

Salomé

.

30 000 / 40 000 €