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les collections aristophil

littérature

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STAËL GERMAINE NECKER,

BARONNE DE (1766-1817).

L.A., « Ostende ce lundi 27 » [mai 1793,

au comte Louis de NARBONNE] ;

4 pages in-8 (le début de la lettre

légèrement biffé d’une croix au

crayon).

3 000 / 5 000 €

Très belle lettre inédite à son amant Louis

de Narbonne qu’elle était allée rejoindre

en Angleterre et qu’elle vient de quitter,

à qui elle dit son amour, et rapporte les

nouvelles politiques et militaires de cette

période troublée de la Révolution française

.

[Louis de NARBONNE (1755-1813) devient

l’amant de Mme de Staël à la fin de 1788 ; il

est le père de ses deux fils Auguste et Albert

(lui-même était vraisemblablement fils de

Louis XV). Vaillant officier, ministre de la

Guerre de décembre 1791 à mars 1792, il se

réfugie en Angleterre en août 1792 à l’aide

de Mme de Staël, qui vient l’y rejoindre, du

20 janvier au 25 mai 1793. Partie de Douvres

le 25, elle écrit cette lettre (restée inconnue)

à son réveil le lendemain de son arrivée

à Ostende ; elle lui en écrira une autre le

même jour, à 2 heures de l’après-midi, avant

de partir pour la Suisse : « Je vous ai écrit

ce que je savais de nouvelles ce matin »

(

Correspondance générale

, t. II-1, p. 105).]

« Cela fait bien mal de vous quitter phisi-

quement et moralement je n’ai jamais tant

souffert de ma vie. Je suis arrivée ici avec la

fièvre hier à midi, et je me lève seulement à

présent pour vous dire adieu et partir, partir

par la route d’Allemagne car moi je ne sais

pas désobéir à ce que j’aime et j’ai besoin

de croire que ma vie lui est nécessaire. Ah la

tienne est tout mon bien, tout me le prouve

[…] et toute la nature est un éloge pour toi ».

Puis elle en vient aux nouvelles : « les Autri-

chiens ont pris le camp de Famars après

avoir tué mille hommes aux François ce

camp est dit-on une position excellente.

D’un autre coté on assure qu’à Courtray les

François ont fait 600 Hollandois prisonniers.

On assure toujours que les frontières de

France sont imprenables, que Condé est

ravitaillé pour 8 mois. Mais la démocratie

dans plus que sa pureté domine dans la

maison de M

rs

Banquet et Gregori où je

loge, et Signeul [Suédois, secrétaire d’am-

bassade] qui me conduit est le plus fou des

hommes. BRISSOT lui paroit aristocrate,

c’est la Montagne dans toute sa rigueur.

Il prétend que M

r

de St[aël] pense comme

lui me voila donc redevenue aristocrate.

D’ailleurs comment en ton absence n’avoir

pas besoin d’être de ton avis. Il ne paroit

pas que M

r

de St. pense à venir à Londres. Il

semble plutot qu’il auroit envie de retourner

en Suède pour y suivre les grands projets

démocratiques au moins que Signeul a dans

la tête. Vous concevez que s’ils ont une telle

idée je serai bien loin de les seconder. J’en

ai assez de la France sans même parler du

sentiment irrésistible qui m’attache à vos

pas comme à vos volontés. Mais j’attribue

à Signeul uniquement ces inconcevables

folies. Il a entendu M

r

de CONDORCET dire

qu’il ne pouvoit comprendre comment il

s’étoit laissé aller à proposer une constitu-

tion aussi inconcevablement aristocratique

que celle qu’il avoit offerte et qu’il en feroit

proposer une par un député inconnu qu’il

auroit travaillée dans un tout autre esprit. –

Les François menacent toujours Ostende et il

leur reste encore des partisans dans les Pays

Bas. […] Les Anglois commandent à Ostende

et l’on dit qu’en général les soldats de toutes

les nations voudroient la paix. Cependant

l’armée combinée est forte de 120 mille

hommes depuis ici jusqu’à Luxembourg et

toute la grosse artillerie est arrivée. On dit

que dans les dernières affaires ce sont les

François qui ont eu l’avantage mais pour celle

du camp de Famars elle est claire puisque

les François sont déportés. Aucun habitant

d’Ostende ne peut aller se promener à 4 pas

de la ville sans un ordre du commandant ».

Elle attend qu’on signe son passeport pour

partir, et fait des recommandations à son

amant qui doit la rejoindre : « Retenez tout

ce que je vous dis, et prenez garde aussi

à une échelle par laquelle on descend à

Douvres dans le paquebot, si la tête tourne

en descendant on tombe dans la mer. Mon

Dieu aurez-vous soin de vous mon ange je

vous en prie je ne veux pas mourir ». Elle va

lui envoyer une lettre de change de 50 livres

sterling : « Ah que n’ai-je tout à donner au

meilleur au plus généreux des hommes – que

je t’aime adieu »…

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STAËL GERMAINE NECKER,

BARONNE DE (1766-1817).

L.A., [Coppet] 15 messidor [4

juillet 1800], à Joseph-Marie de

GÉRANDO ; 4 pages in-8.

2 500 / 3 000 €

Belle lettre sur les succès de Bonaparte

en Italie, alors qu’elle vient de publier

De

la littérature

et rédige

Delphine

.

[Le philosophe et anthropologue Joseph-

Marie de GÉRANDO (1772-1842), ami proche

de Mme de Staël, fera une brillante carrière

administrative sous l’Empire, ce qui l’éloi-

gnera peu à peu de son amie. La lettre reflète

le succès remporté par

De la littérature

,

attaqué cependant dans le

Mercure de

France

par Louis de FONTANES, proche

du Premier Consul Bonaparte. Benjamin

CONSTANT séjourne alors à Coppet chez

son amante.]

« Vous êtes bon, mon cher Gerando, de

ne pas m’oublier, car la tête pourroit bien

tourner de toutes les merveilles d’Italie.

J’ai cédé à l’enthousiasme moi même que

la flatterie éloignoit de l’admiration. Les

governementistes seront bien contents de

moi cet hyver du moins ceux qui veulent

la louange sans la bassesse ».

Elle évoque l’article critique de FONTANES :

« Vous prétendez que vous avez adouci

l’amertume de votre ami Fontanes ; que vou-

loit-il donc dire ? J’ai l’idée de lui répondre :

si son 2

d

article me déplait autant que le 1

er

,

je le ferai avec le ton qui me convient, mais

je relèverai les faits faux et les insinuations

perfides. […] J’ai à répondre à tant de lettres

sur mon ouvrage (surtout des Allemands)

que cela prend la moitié de ma vie. Je veux

cependant continuer mon roman [

Delphine

] ;

j’espère qu’il plaira à Annette ; je la recon-

nois pour juge des sentiments vifs et délicats

dans quelque situation que je les place. Dites

à Matthieu [de Montmorency], je vous en

prie, que j’ai changé ce qui lui déplaisoit de

mon plan presqu’entièrement ; il faudra bien

qu’il lise au moins ce roman-là ».

Puis sur Benjamin CONSTANT : « Benjamin

reste ici un mois au moins, et trois mois

après son départ je vous rejoins. Je partage

ainsi dans ma pensée la longue absence

pour mieux la supporter ».

Elle demande des nouvelles de Camille

Jordan, Mathieu de Montmorency, Nar-

bonne, Roederer… Lucien Bonaparte lui

« écrit les plus belles lettres du monde ; s’il

vous donne une place qui vous fixe à Paris,

je le chante en vers et en prose à moindre

prix que Fontanes [Lucien fera bientôt entrer

Gérando au ministère de l’Intérieur, dont

Fontanes était un porte-parole officieux].

– On craint encor ici que la paix ne soit

pas facile, mais c’est de Paris qu’il faut

nous donner des nouvelles ; ne vous reste

t’il pas un petit coin d’enthousiasme pour

MOREAU ? Tout tranquillement il a conquis

la Souabe entière et fait aussi une armistice ;

mais rien n’a l’éclat de Marengo, et il faut

convenir que s’exposer sa fortune faite est

plus brillant que s’exposer pour la faire »...

Elle recommande à Gérando, qui a « la

simplicité des mœurs d’Homère », de lui

envoyer dès parution son ouvrage [

Des

signes et de l’art de penser

]...

Correspondance générale

, t. IV-1, p. 289.