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les collections aristophil
littérature
Très précieux manuscrit de la troisième partie de
La Nouvelle
Héloïse
, complète de ses 26 lettres, dans sa première rédaction
avec de nombreuses corrections, « copie personnelle » de Rousseau
.
Le manuscrit est écrit à l’encre noire et brune, avec soin, aux rectos
de 110 feuillets de papier vergé de Hollande filigrané
1742
, margés à
gauche au crayon, et chiffrés dans l’angle supérieur droit ; en regard
de chaque lettre, sur le verso blanc de la feuille en vis-à-vis, Rous-
seau a inscrit les principales corrections apportées par lui à son
texte, et d’importantes corrections ou additions figurent également
sur certaines de ces pages.
La page de titre, non chiffrée, est ainsi rédigée : « Lettres / de deux
Amans, habitans d’une / petite ville aux pieds / des Alpes. / Troisième
partie » ; et, après deux traits tracés soigneusement à la plume, cette
note d’envoi et de recommandation [à Mme d’Épinay ? à Mme d’Hou-
detot ?] : « Je suis, Madame tellement accablé d’exprès, de visittes, de
lettres et de paquets qu’il m’est quant à présent impossible de vous
répondre. Voilà la troisième et la quatrième partie. Vous pouvez lire la
lettre à M. de Voltaire à qui il vous plaira ; mais il importe qu’elle ne
sorte pas de vos mains ».
Rousseau a conçu son roman dans l’été 1756 ; il a commencé la
rédaction de
La Nouvelle Héloïse
, mise au net d’après des brouillons
(dont plusieurs ont été conservés, notamment à la Bibliothèque de
l’Assemblée nationale, ms. 1494), dans l’hiver 1756-1757, et l’a achevée
vers la fin de 1757.
Ce manuscrit de la « copie personnelle » a été néanmoins
abondam-
ment corrigé
, et présente plus de 900 corrections, avec ratures et
modifications interlinéaires, dont une quarantaine de lignes biffées,
et 90 lignes d’additions dans les marges ou sur les versos des pages.
Ces corrections ont été faites à plusieurs reprises : au fil de la rédac-
tion ou d’une première relecture, ou encore au fur et à mesure de
l’écriture du roman, puis lors de la copie faite pour Mme d’Houdetot
(qui inspira le personnage de Julie) de la fin de 1757 au début de 1760
(Bibliothèque de Genève, ms. Fr.240-245), et enfin lors de la copie
effort ne va-t-il pas au-delà des limites imposées à l’homme par sa
nature ? La réponse à cette question reste le secret des dernières
parties. Quel romancier inventa jamais plus admirable “suspense” ? »
(Pléiade, p. 1516-1518).
Nous donnons ci-dessous la liste des 26 lettres (plus 2 billets) de cette
Troisième Partie, avec leur incipit (et parfois leur conclusion), telles
qu’elles figurent dans le manuscrit, et un résumé (qui reprend la « Table
des lettres et matières » de l’édition Duchesne ; Pléiade, p. 772-793).
Lettre I.
de Madame d’Orbe
(Claire, cousine de Julie). Elle annonce
à l’Amant de Julie la maladie de Mme d’Étange, et l’accablement de
sa fille, et l’engage à renoncer à Julie. « Que de maux vous causez à
ceux qui vous aiment ! »… (p. 1-4).
Lettre II. [De Saint-Preux]
A la mère de Julie
. Promesse de rompre
tout commerce avec Julie. « Pénétré d’une douleur qui ne peut
finir qu’avec moi, je me jette à vos pieds, Madame, non pour vous
marquer un repentir qui ne dépend pas de mon cœur, mais pour
expier un crime involontaire, en renonçant à tout ce qui pouvoit faire
la douceur de ma vie »… (p. 5-6).
Lettre III. [De Saint-Preux]
A Madame d’Orbe, en lui envoyant la lettre
précédente
. Il lui reproche l’engagement qu’elle lui a fait prendre
de renoncer à Julie. « Tenez, cruelle, voila ma réponse. En la lisant,
fondez en larmes, si vous connoissez mon cœur et si le vôtre est
sensible encore »… (p. 7).
Lettre IV.
de Mad
e
D’Orbe
[à Saint-Preux]. Elle lui apprend l’effet de
sa lettre sur le cœur de Mme d’Étange. « Vous m’avez écrit une lettre
désolante ; mais il y a tant d’amour et de vertu dans vôtre conduite
qu’elle efface l’amertume de vos plaintes »… (p. 8-9).
Lettre V.
de Julie
[à Saint-Preux]. Mort de Mme d’Étange. Désespoir
de Julie. Son trouble en disant adieu pour jamais à son Amant. « Elle
n’est plus. Mes yeux ont vu fermer les siens pour jamais […] Adieu
donc, pour la dernière fois ; unique et cher…… Ah fille insensée !......
Adieu pour jamais. » (p. 10-11).
préparée pour l’éditeur Marc-Michel Rey (Morgan Library, Heineman
Collection, MA 6711) d’avril 1759 à janvier 1760, Rousseau n’ayant pas
jugé sa propre copie suffisamment lisible pour servir à l’édition ; il a
ensuite noté sur les pages en regard de chaque lettre les corrections
de l’édition, peut-être aussi lors de la réivision des épreuves. Notons
que Rousseau y a rarement corrigé le patronyme qu’il avait d’abord
donné à son héroïne, Julie d’Orsinge (p. 2, dans la lettre de Claire
d’Orbe, « Ma tante » est biffé pour « Mad
e
D’Etange »), et que Saint-
Preux n’y est pas nommé.
L’édition originale des
Lettres de deux amans habitans d’une petite
ville au pied des Alpes
parut à Amsterdam chez Marc-Michel Rey
(le faux-titre portant
Julie, ou la Nouvelle Héloïse
), en 6 volumes, au
début de 1761. Entretemps, Rousseau fit à nouveau, de la fin de 1759
à octobre 1760, une belle copie pour la maréchale de Luxembourg,
illustrée de douze dessins de Gravelot (Bibliothèque de l’Assemblée
nationale, ms. 1433-1438).
La « copie personnelle » de Rousseau fut divisée en quatre ensembles :
1
ère
et 2
ème
parties (bibliothèque du duc de Newcastle, Sotheby’s 21 juin
1937) ; 3
ème
partie (notre manuscrit, ancienne collection Louis Barthou) ;
4
ème
partie (Bibliothèque de l’Assemblée nationale, ms. 1495) ; 5
ème
et
6
ème
parties (
idem
, ms. 1496). Notre manuscrit de la
Troisième Partie
n’a pu être étudié par les éditeurs de
La Nouvelle Héloïse
dans la
Bibliothèque de la Pléiade (Œuvres complètes, tome II).
Ce
chef-d’œuvre du roman épistolaire
, qui conte les amours contra-
riées de Julie d’Étange et de Saint-Preux, remporta dès sa parution
en 1761 un succès prodigieux, et connut une centaine d’éditions
et contrefaçons jusqu’à la fin du siècle. Le rédacteur du catalogue
Barthou écrit fort justement : « Ces vingt-six lettres sont parmi les
plus belles, les plus pathétiques de l’ouvrage : ce sont toutes celles
qu’échangent Julie et Saint-Preux à l’époque de leur rupture avant
le mariage de Julie, puis vient la lettre où Julie conte son mariage et
son bonheur conjugal avec M. de Wolmar, enfin les si importantes
lettres de Saint-Preux et de Milord Edouard sur le suicide ».
Il faudrait citer tout au long le commentaire passionnant (et passionné)
de Bernard Guyon : « Cette partie, à la fois liquidation de la période de
la jeunesse, de l’agitation, de l’amour heureux et persécuté, et entrée
dans un monde nouveau, celui de la maturité, de la sérénité, de la
durée, de l’inquiétude aussi et de l’espérance, est aussi remarquable
par la maîtrise technique dont y fait preuve le romancier que par les
richesses spirituelles qu’il prodigue.
Deux parties très fortement contrastées :
1°
Lettres 1 à 17
, de la découverte des lettres au mariage de Julie.
Rythme
molto agitato, appassionato
. Tout est événements, coups de
théâtre, mystères, espérance et angoisse alternées. Nous n’entendons
presque plus la voix de Julie. Les brefs échanges entre les amants
sont “officiels”, sans nuances. La vérité sur eux ne nous est connue
que par des échos, des jeux de miroir. C’est de l’excellent roman.
2°
Lettres 18 à 26
: du mariage de Julie au départ de Saint-Preux.
Lettres plus longues, peu d’événements. […] il semble que le temps ait
suspendu son vol. La lettre 18 est comme un donjon spirituel du haut
duquel l’héroïne domine les deux époques de sa vie et le romancier
les deux versants de son œuvre. Cette méditation lyrique : élégie,
réflexion, prière, se déroule dans une souveraine sérénité :
adagio
molto ; lento
. Puis, le roman repart, mais le rythme est à peine accé-
léré. Julie décrit longuement sa vie nouvelle et ce qu’elle appelle son
“bonheur” ; les deux lettres de Milord Édouard et de Saint-Preux sur le
suicide se déroulent comme un noble débat sur un grand problème.
L’amant est réduit au silence. La vie est comme bloquée. […]
Ce qui anime ces lettres, un peu longues peut-être mais pleines, sans
bavardage, nullement “feuillues”, c’est
un effort passionné pour tout
sauver : et le bonheur et l’amour
. Épouse sans passion (mais non
sans amour), fixée dans le calme et la durée de la vie conjugale et
familiale, Julie espère goûter la forme de bonheur la plus parfaite
qu’il soit donné à l’homme de connaître. Amante fidèle, sûre de la
fidélité de son amant, elle connaîtra la forme d’amour la plus pure
mais surtout la plus durable parce qu’elle aura dominé la passion,
et, parce qu’elle vivra séparée de celui qui en est l’objet. Mais cet