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littérature
l’espoir de les retrouver au printems, ou du moins de les revoir car
il y a longtemps que vous me faites connoitre qu’on les retrouve au
besoin dans toutes les saisons. Pour Dieu gardez bien cette chère
imbecillité, trésor inatendu dont le ciel vous favorise et dont vous aviez
grand besoin, car si c’est un rhumatisme pour l’esprit, c’est au corps
un très bon emplastre pour la santé ; il vous faudroit bien de pareils
rhumatismes pour vous rendre impotente, et j’aimerois mieux que
vous ne pussiez remuer ni pied ni patte, c’est à dire n’écrire ni vers
ni comedie, que de vous savoir la migraine »… Il se plaint de n’avoir
ni almanach ni pendule, et termine en plaisantant sur le « cotillon »
qu’elle lui a envoyé [« un petit jupon de dessous de flanelle d’Angle-
terre qu’elle me marquoit avoir porté »,
Les Confessions
, Pléiade, t. I,
p. 437] : « J’ai pourtant quelques peurs qu’il ne me tienne un peu trop
chaud, car je n’ai pas accoutumé d’être si bien fourré ».
Ce mercredi &c. [1
er
décembre] [232/23]. Amusante lettre. « Passe
pour le Cotillon, mais le sel ! Jamais femme donna-t-elle à la fois
de la chaleur et de la prudence. À la fin vous me ferez mettre mon
bonnet de travers, et je ne le redresserai plus »… Elle a vu « l’homme
[DIDEROT]. C’est toujours autant de pris ; […] quant à moi, je pense que
le Diderot du matin voudra toujours vous aller voir et que le Diderot
du soir ne vous aura jamais vüe. Vous savez bien que le rhumatisme
le tient aussi quelquesfois, et que quand il ne plane pas sur ses deux
grandes ailes auprès du soleil on le trouve sur un tas d’herbe perclus
de ses quatre pattes »… Il raille les plans de Mme d’Épinay pour ses
comédies : « Encore de nouveaux plans ? Diable soit fait des plans,
et plan plan relantanplan. C’est sans doute une fort belle chose qu’un
plan, mais faites des détails et des scènes théâtrales, il ne faut que
cela pour le succès d’une pièce à la lecture, et même quelquesfois
à la représentation »… Etc.
Ce mardi au soir [7 décembre]
[233/24]. Demande de nouvelles.
« Mad
e
[Dupin] de Chenonceaux a passé ici la journée ; elle vient de
partir au flambeau »...
[9 ou 16 décembre]
[234/36]. Sur la fille de Mme d’Épinay. « Que
signifient ces chagrins pour un enfant de six ans dont il est impos-
sible de connoitre le caractère. Tout ce que font les enfans tant
qu’ils sont au pouvoir d’autrui ne prouve rien, car on ne peut jamais
savoir à qui en est la faute ; c’est quand ils n’ont plus ni nourrisse,
ni gouvernantes, ni précepteurs qu’on voit ce que les a faits la
nature, et c’est alors que leur véritable éducation commence »…
Il a eu « de grands maux d’estomac pour avoir eu la presomption
de vivre en paysan et manger des choux au lard plus qu’à moi
n’appartenoit »...
[20 décembre]
[235/26]. Il espère qu’on a congédié les médecins de
GAUFFECOURT : « Qui pourroit tenir au supplice de voir assassiner
chaque jour son ami sans y pouvoir porter remède ; eh pour l’amour
de Dieu balayez moi tout cela, et les Comtes, et les Chevaliers, et
les Abbés, et les belles Dames, et le Diable qui les emporte tous.
[…] quant à moi, je suis très persuadé que je ne retournerai jamais à
Paris que pour y mourir »...
[26 ou 27 décembre]
[237/33]. Il ia la voir : « Songez à me bien carresser
demain ; cela me fera oublier combien je suis malingre et me donnera
plus de force pour embrasser notre pauvre ami »...
1757
.
Ce mardi au soir [4 janvier]
[239/32], demandant des nouvelles de
Gauffecourt. « Nous sommes tous malades ici de rhume et de fièvre »…
Ce mardi au soir [11 janvier]
[240/28]. Il a eu des nouvelles par Mme
d’HOUDETOT. « En attendant que les remèdes de M. Tronchin vous
soient utiles, vous ne perdez pas vôtre tems à les prendre puisqu’ils
sont agréables à prendre ; c’est un tour d’ami dont les médecins ne
s’avisent guères »...
[18 janvier]
[241/27]. « Nous sommes ici trois malades dont je ne
sais pas celui qui aurait le moins besoin d’être gardé ». Il va venir à
Paris. « Je choisis d’aller dîner avec vous et coucher chez DIDEROT.
Je sens aussi parmi tous mes chagrins une certaine consolation à
passer encore quelques soirées paisibles avec notre pauvre ami »...
Ce Lundi matin [31 janvier]
[243/34]. « Vôtre fièvre m’inquiète, car
foible comme vous êtes, vous n’êtes guères en état de la supporter
longtems. J’imagine que si elle continue, M. Tronchin vous ordonnera
le quinquina, car à quelque prix que ce soit il faut vous débarasser
de ce mauvais hôte. Moi, j’ai fait heureusement mon voyage, mais
j’ai actuellement une forte migraine »...
Ce mercredi 16 [février]
[245/9]. « Je vous jure que je vous ferois
volontiers mettre à la Bastille si j’étois sur d’y pouvoir passer six mois
avec vous tête à tête ; je suis persuadé que nous en sortirions tous
deux plus vertueux et plus heureux. […] Ne vous tracassez point l’esprit
de chimères, livrez vous aux sentimens honnêtes de vôtre bon cœur,
et en dépit de vos sistèmes vous serez heureuse »...
A l’hermitage le 13
e
mars
[247/37].
Première brouille avec DIDEROT
qui a « écrit une lettre qui m’a percé l’ame. Il m’y fait entendre que
c’est par grace qu’il ne me regarde pas comme un scelerat, et qu’
il
auroit bien à dire là-dessus
[…] Parce que Mad
e
LE VASSEUR est avec
moi. Eh bon Dieu que diroit-il de plus si elle n’y étoit pas ? Je les ai
recueillis dans la rüe, elle et son mari, dans un age où ils n’étoient plus
en état de gagner leur vie, elle ne m’a jamais rendu que trois mois
de service, depuis dix ans je m’ôte pour elle le pain de la bouche ;
je l’amêne dans un bon air où rien ne lui manque ; je renonce pour
elle au séjour de ma patrie. Elle est sa maîtresse absolue, va, vient
sans compte rendre, j’en ai autant de soin que de ma propre mère ;
tout cela n’est rien, et je ne suis qu’un scélérat […] Philosophes des
villes, si ce sont là vos vertus, vous me consolez bien de n’être qu’un
méchant. J’étois heureux dans ma retraite, la solitude ne m’est point
à charge, je crains peu la misère, l’oubli du monde m’est indifférent,
je porte mes maux avec patience ; mais aimer, et ne trouver que des
cœurs ingrats, ah voilà le seul qui me soit insupportable ! »…
Ce mercredi au soir [16 mars]
[249/38]. Rousseau conte le drame
familial quand il a dit à Mme Levasseur qu’elle devait aller vivre à
Paris avec sa fille : « Là dessus la fille s’est mise à pleurer, et malgré
la douleur de se séparer de sa mère, elle a protesté qu’elle ne me
quiteroit point, et en vérité les philosophes auront beau dire, je ne
l’y contraindrai pas. […] Ce qu’il y a de plus affreux pour moi, c’est
que la bonne femme s’est mise en tête que tout cela est un jeu joüé
entre Diderot, moi, et sa fille, et que c’est un moyen que j’ai ima-
giné pour me défaire d’elle. […] Il y a quinze jours que nous vivions
paisiblement ici et dans une concorde parfaite. Maintenant, nous
voilà tous allarmés, agités, pleurant, forcés de nous séparer »... Si
DIDEROT vient le voir, « il sera reçu avec honnêteté, mais mon cœur
se fermera devant lui et je sens que nous ne nous reverrons jamais.
Peu lui importe ; ce ne sera pour lui qu’un ami de moins. Mais moi,
je perdrai tout, je serai tourmenté le reste de ma vie. […] je n’ai point
un cœur qui sache oublier ce qui lui fut cher. Évitons s’il se peut une
rupture irréconciliable »...
Ce mercredi [16 mars]
[250/39]. « Je n’ai rien à répondre à ce que vous
me marquez des bonnes intentions de DIDEROT, qu’une seule chose
[…] Il connoit mon caractère emporté et la sensibilité de mon ame.
Posons que j’aye eu tort ; certainement il étoit l’aggresseur, c’étoit
donc à lui à me ramener par les voyes qu’il y savoit propres. Un mot,
un seul mot de douceur me faisoit tomber la plume de la main, les
larmes des yeux et j’étois aux pieds de mon ami. Au lieu de cela, voyez
le ton de sa seconde lettre ; voyez comment il racomode la dureté
de la première. […] Diderot est maintenant un homme du monde. Il fut
un tems où nous étions tous deux pauvres et ignorés et nous étions
amis. J’en puis dire autant de GRIMM. Mais ils sont devenus tous
deux des gens importans, j’ai continué d’être ce que j’étois et nous ne
nous convenons plus »...
Ce jeudi
[17 mars]
[251/40]. Rousseau a reproduit cette lettre dans
Les
Confessions
(Pléiade, t. I, p. 457). Il n’enverra pas sa lettre à DIDEROT,
puisque Mme d’Épinay s’y oppose. « Mais me sentant très grièvement
offensé, il y auroit, à convenir d’un tort que je n’ai pas, une bassesse
et une fausseté que je ne saurois me permettre et que vous blâmeriez
vous même sur ce qui se passe au fond de mon cœur. […] N’espérez pas
l’empêcher de venir […] Il s’excedera pour venir à pied me répéter les
injures qu’il me dit dans ses lettres. Je ne les endurerai rien moins que
patiemment ; il s’en retournera être malade à Paris, et moi, je paroitrai
à tout le monde un homme fort odieux. Patience ! il faut souffrir »…
Ce vendredi au soir
[18 mars]
[252/41]. Il a été incommodé : « j’y ai
beaucoup gagné ; car j’ai toujours remarqué que les maux du corps
calment les agitations de l’ame ». Il a besoin [pour la documentation
de
La Nouvelle Héloïse
] du
Voyage
de l’amiral ANSON, que doit avoir