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Littérature
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CIORAN Émil M. (1911-1995).
DEUX CAHIERS
autographes ; 2 cahiers à spirale (29,7 x 21
cm, Joseph Gibert) bleu et rouge, numérotés III et IV, de 89
(+1) et 76 feuillets la plupart recto-verso.
20 000 / 25 000
Importants cahiers de pensées et réflexions de premier jet qui
nourriront
Aveux et anathèmes
(1987), mais qui sont pour la plus
grande part inédites
.
Écrits principalement au stylo bille bleu, avec des corrections en rouge
ou vert, ces deux cahiers prennent la suite des cahiers-journal, mais
toute notation chronologique a disparu. Sur la couverture du cahier
III, Cioran a rayé la date d’ouverture du cahier : « Du 4 août 1980 au ».
De nombreuses entrées ont été biffées, souvent en rouge, ou sont
marquées en marge par des croix, ou par des S inversés, qui sont
parfois aussi des points d’interrogation indiquant un doute quant à
un éventuel emploi antérieur ; parfois encore Cioran pose la question
« déjà ? ». Quelques rares feuillets ont été découpés pour réemploi
du texte ; d’autres portent des textes collés et insérés dans le cahier.
Citons les premières entrées du cahier III (les mots entre crochets
ont été biffés) :
« Pas de jour sans épreuve(s) pour quiconque n’a pas la chance d’être
cuirassé contre l’homme.
Ce qui fait l’intérêt de l’amitié, c’est qu’elle est une source inépuisable
de déceptions, et par là de surprises fécondes dont il serait insensé
de vouloir se passer.
On ne peut consoler quelqu’un qu’en allant dans le sens de son
[désespoir] affliction, et cela jusqu’au point où [le désespéré] l’affligé
en a assez de l’être. // Il existe une satiété non seulement des plaisirs
mais [de la du chagrin] aussi de la douleur et même du chagrin.
Le malheur, quel qu’il soit, est une promotion. Et il nous flatte. Les
dieux, ou les démons, [ou le destin] s’occupent donc de nous. Et
si ce [ne sont n’est] ne sont pas eux, [ce sera] c’est le hasard, et ce
sera toujours ça.
[S’il y a une Providence, comment a-t-elle permis les métropoles ?
Seul un Monstre peut avoir voulu ce pullulement de déchus.]
Les obsédés et les dilettantes ».
On trouve dans ces deux cahiers quantité de pensées et d’aphorismes
que Cioran reprendra dans les six chapitres des
Aveux et anathèmes
,
généralement marqués d’une croix rouge, ici dans leur version primitive,
souvent déjà surchargée de corrections qui cisèlent et mettent au
point l’aphorisme. Ainsi on trouve dans le cahier III une première
version très corrigée de la réflexion sur Joseph de Maistre du chapitre
Face aux instants
, et dans le cahier IV une version très corrigée du
propos liminaire des
Aveux et anathèmes
. Citons ici dans le cahier III
la version primitive, très différente du texte définitif, de la pensée sur
les
Variations Goldberg
(chapitre
Face aux instants
) : « Les
Variations
Goldberg
m’[ont]ayant [tellement] remué au-delà du supportable j’ai
ressenti le besoin de sortir et de me promener. Soleil général. Au
Luxembourg, j’ai fermé les yeux et me suis abandonné à l’écho qu’a
suscité en moi cette musique “superessentielle” (pour parler comme
les mystiques). Plus rien n’existait, sinon une plénitude
sans contenu
qui est la seule manière de concevoir Dieu ou ce qui en tient lieu ».