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Littérature

« Publié en 1957, ce bref ouvrage dédié “à Luis Miguel Dominguin et

à Luis Escobar pour qu’il le lui traduise”, fut inspiré à Jean Cocteau

par la découverte de l’Espagne où il se rendit pour la première fois

au cours de l’été 1953 et où il devait revenir plusieurs fois jusqu’à sa

mort, et particulièrement par un événement survenu le 1

er

mai 1954 :

assistant à une corrida aux arènes de Séville, Cocteau se vit dédier

par Damaso Gomez son taureau. De ce moment, la montera, la toque

noire du matador sur les genoux, le poète “devint le spectacle auquel

il assistait” — le choc éprouvé alors fut si violent que Cocteau se

demande s’il n’est pas à l’origine du premier infarctus du myocarde

dont il fut victime un mois plus tard. Cocteau comprit alors le secret

de ces noces entre la “Dame blanche” (la Mort), représentée par le

taureau, son “ambassadeur”, et le torero, en ce combat où l’homme

devient la bête afin de la comprendre, et réciproquement, où l’homme

et la bête changent alternativement de rôle et de sexe. Ainsi la corrida

jusqu’alors extérieure s’incorporait-elle à sa mythologie personnelle,

et même la représentait. Dès lors, Jean Cocteau comprit l’Espagne et

l’aima avec respect, avec passion. Cet essai sur l’Espagne comprend

en outre :

Hommage à Manolete

(trois poèmes, le dernier en prose) ;

Notes sur un premier voyage en Espagne

, datées de juillet 1954 »

(Jacques Brosse). Cocteau y ajoutera une

Lettre d’adieu à Federico

[Garcia Lorca], et

L’Improvisation de Rome

, transcription d’une causerie

sur Picasso, enregistrée au magnétophone par les organisateurs de

l’exposition

Picasso

à Rome en 1953.

Tous ces feuillets sont réunis dans une chemise cartonnée orange à

élastiques, portant de la main de Carole Weisweiller le titre «

Corrida

du 1

er

Mai

 » et, de celle de Jean Cocteau, la mention suivante : « En

somme, cher Jean-Marie, supprimer tout ce qui n’est pas en contact

avec la corrida et l’Espagne. Jean ».

Comme ce manuscrit en porte témoignage,

La Corrida du premier

mai

fut l’une des œuvres de Cocteau dont il eut le plus difficulté à

venir à bout. Né du choc éprouvé à la corrida du 1

er

mai 1954 (une

note donne la date exacte du 30 avril, mais le 1

er

mai fait un meilleur

titre !), le livre se donne pour ambition de « fixer les modifications de

la conscience obtenue chez un Français par cette drogue du peuple

d’Espagne : la corrida ». Cocteau prend aussitôt des notes relatives à

l’art tauromachique, à l’âme du peuple espagnol, à Séville, refusant

tout pittoresque facile ; il veut plonger au cœur de ce qu’est l’essence

de la corrida, dont il souligne la dimension tragique et sexuelle.

Ces textes d’une exceptionnelle densité occupent généralement un

ou deux feuillets, et Cocteau avait sans doute pour ambition de les

fondre en un texte continu. Mais en juin, de retour à la villa

Santo

Sospir

de son amie Francine Weisweiller, il est frappé d’un infarctus

et ne peut travailler de façon suivie. Il continue à prendre des notes,

mais s’avère incapable de les ordonner.

Ce n’est que deux ans plus tard, au début d’octobre 1956, qu’il envoie

ces pages accumulées à son jeune ami Jean-Marie MAGNAN, à

charge pour lui de relier ces notes éparses et « reconstituer la bête » ;

celui-ci, né en 1929 et poète lui-même, était originaire d’Arles, habitué

des arènes, et avait fait la connaissance de Cocteau par l’intermédiaire

de Lucien Clergue.

Le présent manuscrit permet de prendre la mesure de l’immense

« travail à la Champollion » (lettre du 17 octobre) qu’il a accompli. Il a

tenté de dégager une unité thématique de ces pages qu’il a regroupées

en plusieurs ensembles, numérotées et décryptées. Cocteau lui

rendra d’ailleurs hommage à la fin du livre en évoquant ces « notes

illisibles », dont Magnan a su tirer le texte, organisant le texte extrait

de ces dossiers souvent à l’état d’ébauches, comme le montrent les

formats de papier différents, l’emploi du stylo bille alternant avec le

crayon, le caractère parfois fragmentaire. L’ordonnancement se fit

sous le contrôle du poète, qui a adopté ou modifié les suggestions

proposées par son déchiffreur.

Afin de donner plus d’unité au texte, d’importants passages ont été

supprimés, notamment des réflexions sur la science moderne et la

parascience, où Cocteau oppose Paracelse et les sciences occultes

au cartésianisme. De toutes ces réflexions ne subsisteront que deux

pages dans la version imprimée.

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