Previous Page  107 / 268 Next Page
Information
Show Menu
Previous Page 107 / 268 Next Page
Page Background

416

417

105

Littérature

cette mythologie asiatique ressemblent fort à

ceux de l’incrédulité européenne : ce sont des

serpents interminables, l’épée des héros leur

coupe la tête et leur mission est de mourir

sous leurs crocs affamés – en attendant, ils

habitent dans le désert, se terrent dans le

sable des ruisseaux asséchés ou grimpent

sur les collines pour y goûter l’humidité des

nuages. Les génies sont le yin de la croyance

musulmane : Dieu le Miséricordieux les a

fait engendrer par un tigre et une louve de

feu dans le dernier sous-sol de l’enfer ;

quelques-uns se sont convertis à l’islam,

d’autres non. Ils peuvent prendre la forme qui

leur convient : ils se déguisent en hommes,

en ânes, en caniches, en flammes et parfois

en voitures. Ils établissent leur demeure

dans les fours, dans les maisons en ruine,

dans les décombres, dans les bains, dans

les citernes, dans les foyers d’ordures »…

La notion du temps qui se dégage de ces

contes est l’occasion d’un parallèle avec

SHAKESPEARE et JOYCE : « Dans ces

récits chimériques du Turkistan, le temps

n’est pas simplement dilaté : il s’agit d’une

aisance de rêverie. Shakespeare, suivant sa

propre métaphore, fit tenir les événements

de plusieurs années dans un tour de cadran ;

Joyce, dans un geste apaisant, ralentit la

fugacité du temps et déploie sur sept cents

pages prolixes la journée d’un homme. Le

temps qui gouverne nos contes n’est ni le

précipité de Shakespeare ni le maniaquement

étendu de James Joyce – c’est un temps

indéfini, léger, qui ne pèse pas sur les faits

et dont nous ignorons s’il doit être mesuré

en jours ou en années – en calendriers ou

en crépuscules »… La fin du texte introduit

une réflexion de portée philosophique

416

CAMUS Albert (1913-1960).

L.A.S. « AC » (minute), 22 juillet

[1952 ?] ; 1 page in-8, en-tête

Librairie

Gallimard

.

1 000 / 1 200 €

Refus de l’entrée de l’Espagne franquiste

à

l

’UNESCO

(l’Espagne en deviendra membre

le 30 janvier 1953).

« Qui ne vous donnerait raison ? Mais

quand on prend

l’initiative

de faire rentrer

l’Espagne à l’UNESCO, si je ne proteste pas

sous prétexte que la Tchécoslovaquie s’y

trouve déjà, la Tchécoslovaquie trouvera

simplement un argument de plus pour rester

à l’UNESCO et pour rester ce qu’elle est. Ce

qui aussi bien renforcera sans délai la position

et la conviction de Franco. Ce jeu-là n’a pas

de fin que la destruction de tout ce qui vaut

pour nous. [ ] Je partage votre méfiance

à l’égard de ceux qui dénoncent Franco et

soutiennent le système concentrationnaire

de l’Est. Je ne suis pas de ceux-là, et il est

douteux actuellement qu’ils aient le courage

de mêler leur signature à la mienne »…

417

CÉLINE Louis-Ferdinand

(1894-1961).

L.A.S. « Destouches », Berlin le

20 [décembre 1932], à Lucien

DESCAVES ;

3 pages in-8.

1 200 / 1 500 €

Remerciements pour la campagne que mène

Descaves en faveur du

Voyage au bout

de la nuit

.

« Même ici je suis averti de la campagne

énorme que vous faites en ma faveur. Vous

ajoutez si possible à ma confusion… De plus

en plus il faut que je convienne que votre

intervention aura fait plus pour son succès

que 600 pages indigestes. Comme je dois

être haï déjà par tant de gens ! – C’est le

côté bien triste, par moi irréparable, de cette

soudaine notoriété. Enfin heureusement votre

amitié suffit à tout. Je me sens un vieillard

pénible à vos côtés – Le jour des barricades

vous monterez le premier tant pis. Que vous

dire de Berlin ? Prenez 1/3 de ce qui s’écrit

dans les journaux et vous y serez »…

sur la causalité, la magie et nos propres

préjugés rationalistes : « Le merveilleux et

le quotidien se mêlent, et il est manifeste

que, pour le narrateur, aucune hiérarchie

ne vient les séparer ou de les classer. Il y

a des anges, de la même manière qu’il y a

des arbres : c’est une des réalités du monde.

La magie est un épisode causal, c’est un

type de causalité comme bien d’autres.

Pour tuer un homme à distance, on peut

le transpercer d’une flèche ; mais on peut

tout aussi bien pétrir une statuette d’argile

à sa ressemblance et la transpercer jusqu’à

ce que son modèle meure. Nous autres,

qui avons perdu la foi au sortilège, et qui,

même si nous l’acceptions, ne manquerions

pas de distinguer subtilement son efficacité

surnaturelle des effets naturels entraînés

par une loi connue, nous affirmons que les

jeteurs de sorts se trompent, qu’il n’y a rien

de commun entre notre image et nous, mais

cependant, nous nous croyons offensés si

en proférant notre nom, qui n’est qu’un mot,

on y associe un autre mot d’injure. Nous

parlons de lois naturelles, et tout lecteur

d’Edward Carpenter ou d’Ernst Mach sait

que ces lois ne sont rien d’autre que des

fictions munificentes que nous avons nous-

mêmes inventées. […] Leur vie est voisinage

de mythe, de rêve, de toute possibilité. C’est

pourquoi je me suis accroché à leurs contes,

pour me sentir étranger dans la vie, pour me

la rendre étrangère, pour feindre d’en avoir

la nostalgie ».

« Su vida es cercanía de mito, de soñación,

de cualquier eventualidad. Por eso me

he arrimado a sus cuentos, par sentirme

forastero en la vida, para extrañármela, para

jugar a la nostalgia con ell. »