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L'aventure littéraire de la revue

Le Banquet

et les débuts magistraux de Proust dans la critique

Paris, «

9

b

d

Malesherbes, ce jeudi

» [juin

1892

, probablement le

2

]. Lettre n°

1

5

»).

Proust analyse ici les contributions du n°

4

de la revue Le Banquet et éreinte cruellement Léon Blum.

Ce

numéro paru au début de juin

1892

comprenait plusieurs textes de Fernand Gregh sous pseudonymes, « Soir », « Banlieue

– amours défuntes », « Pessimisme », « Petit conte métaphysique ». Il comprenait également « Pholoé » de Louis de La Salle

(dédicataire de « La Mer »,

cf. infra

, lettre n°

3

) et « Méditation sur le suicide d'un de mes amis » de Léon Blum.

«

Mon cher Fernand, je viens de relire ton admirable "Soir" et malgré les objections de Jacques Bizet qui prétend avoir

des "autorités" pour lui, je le préfère de beaucoup à ta "Banlieue" et à tes "Amours défuntes", comme

je

préfère

"L

e

voyage

"

de

B

audelaire à

"S

ilvia

"

de

M

usset

. Pourtant j'adore "Silvia" et "La banlieue", et "Les amours défuntes". Je n'ai

encore que parcouru le reste, le charmant "Conte métaphysique", et "Pessimisme", un peu moins agréable il me semble.

Mais cela ("Pessimisme") paraîtra tout à fait bien quand dans vingt ans un peintre s'inspirant de l'illustre Fernand

Gregh exposera un grand grand tableau pour la médaille d'honneur, le dernier homme tuant la dernière femme

[dans le

récit intitulé « Petit conte métaphysique », l'humanité est sauvée d'une extermination complète par la dernière femme,

« misérable folle » qui seule conserve encore un désir aveugle de la vie].

Au-dessous, il aura copié tout ce "passage" dont

il se sera inspiré. Et les critiques d'art qui préfèrent, les uns le geste de l'homme, les autres le regard de la suppliante,

quelques-uns le fond "cosmique", tiendront le tableau pour inégal à la description du "prosateur". Après ces éloges,

puis-je faire des reproches dont ma mauvaise santé fera peut-être passer la violence.

F

aut

-

il que

vous

soyez

tous assez

bêtes

pour

avoir

pris

"

Méditation sur le suicide d'un de mes amis

",

par monsieur

je

ne

sais

plus

comment

[Léon

Blum]

. L

e marquis

et

le

vicomte dans

Les Précieuses ridicules

sont deux

larbins qui

singent

ineptement

les

façons

de

parler de

leurs maîtres

. C

et

article

pourrait

être

écrit

par

le

larbin de

B

arres

.

Avec cela il respire une indulgence

à l'endroit des usuriers, des billets, des emprunts qui ne peut que déshonorer la rédaction du Banquet. Le jeune homme,

Maxime, a-t-il réellement existé ? Si oui, je le plains de la chromo fin de siècle, la plus répugnante de toutes, dont il vient

d'être le modèle. Mais non, il n'a jamais existé ! Comment un monsieur, dégoûté de tout, désabusé de tout (attitude pour

laquelle l'auteur professe une admiration irritante, qu'il croit évidemment tout à fait "distinguée" et "intelligente")

emprunterait-il de l'argent, signerait-il des billets, aurait-il recours aux usuriers.

M

aintenant

tu me diras peut

-

être que

mes articles

sont pires

. S

oit

,

mais

je

suis du

Banquet

.

Il est fait pour publier mes productions. Mais quand on prend des

articles au dehors, il faudrait qu'il ne soit pas si stupide qu'on l'eût refusé s'il avait été de l'un de nous. Vraiment, cela

déshonore une revue, parce que cela la caractérise. Publier de mauvais articles de mode, cela ne déshonore pas. Mais

écrire cela sur la mort ! Moi qui ai refusé à un officier des articles militaires ! Ç'aurait été mille fois mieux et moins

compromettant. Je suis désolé pour Le Banquet de cet article. Les vers de Louis de La Salle sont d'une belle couleur et

d'une belle forme. Mille tendres pensées de ton affectionné Marcel

»

L

e

B

anquet

contient les premiers textes importants de Proust.

Au début de

1892

, Marcel Proust participa à la

fondation de cette revue littéraire avec plusieurs anciens camarades du lycée Condorcet attirés par l'écriture, Fernand

Gregh, Robert Dreyfus, Louis de La Salle, Daniel Halévy, Horace Finaly et Jacques Bizet. Le titre faisait référence à Platon,

et la ligne éditoriale fut choisie en opposition au symbolisme et au décadentisme, avec une curiosité particulière pour la

littérature étrangère. Un comité de lecture fut désigné, dont Proust fit partie, mais la direction fut bientôt assumée par

Fernand Gregh, parent de l'imprimeur à qui était confiée la revue.

Le Banquet

parut de mars

1892

à mars

1893

– avant

d'être absorbé par la

Revue blanche

des frères Natanson. Proust y publia huit contributions (dont sa première nouvelle)

qui, sauf deux, seraient reprises dans ses recueils

Les Plaisirs et les jours

(

1896

) et

Chroniques

(

1927

). Il y dessine une

doctrine personnelle qui trouverait une application concrète dans la rédaction de ses grandes œuvres, notamment en ce

qui concerne la distance séparant le rêve et la réalité, ou sa conception du temps, de la beauté, des voyages. Il y donne

déjà de sublimes pages sur le thème baudelairien de la mer, et y décrit la comtesse de Chevigné qui prêterait certains de

ses traits à la duchesse de Guermantes.

Le paysage marin des

Jeunes filles

prend ses contours

S.l., [octobre

1892

]. Avec apostille autographe signée de Fernand Gregh à l'imprimeur de la revue Le Banquet, Eugène

Reiter. Lettre n°

3

4

»).

«

M

on

cher

F

ernand

,

voici

1

°

des

tudes

". L

a

1

re

sera

: "L

a mer

"

copiée sur ces grandes feuilles. La

2

e (toujours dans

le même article "Études" et en mettant seulement le chiffre II et le sous-titre) sera ce "Portrait de madame XX" sur

petit papier écrit au recto et au verso mais c'est si lisible !

E

nfin

pour

les

V

aria

(et je ne tiens pas du tout à ce que cela

soit signé, tout au plus M. P., à moins que vous ne préfériez dégager votre responsabilité de cette ordure – ou que vous

trouviez cela plus poli

pour

R

égnier

, auquel cas mettez la signature),

j

'

ai

baclé

, n'ayant pu retrouver mon article, cette

petite note également ci-jointe et écrite sur papier écrit au recto seulement. Cela me gênait un peu à cause de mon

examen mais je suis si confus vis-à-vis de Régnier qu'il fallait en finir.

E

nfin voici

les vers de

R

obert de

F

lers

qu'il m'a

donnés pour vous envoyer. Mille tendresses, cher petit, de ton inaltérablement dévoué et tendre Marcel... MP

»