19
Littérature
61.
Paul CLAUDEL
. L.A.S., Copenhague 22 février 1921, [au Directeur de la Librairie d’Art Catholique] ; 2 pages et demie
petit in-4, en-tête
Légation de France, Copenhague
.
300/400
À
propos
de
l
’
O
de
jubilaire
pour
le
sixième
centenaire
de
la
mort
de
D
ante
... « J’attendais avec une certaine anxiété votre jugement
sur mon Ode dantesque. Je me suis donné énormément de mal pour l’écrire et je dois le dire uniquement pour vous être agréable et
dans un esprit de solidarité chrétienne. Je suis heureux d’être parvenu à vous émouvoir et à ne pas être resté trop au-dessous de mon
grand sujet ». Il prévient, en vue d’une lecture, qu’il n’est « nullement un lecteur de premier ordre, mais là aussi je suis prêt à faire
pour le mieux ». Il a lu
P
étrarque
,
pour qui il nourrissait « beaucoup de préjugés [...] J’ai beaucoup de peine à comprendre une poésie
sans images et cet amour “courtois” a tout de même quelque chose d’un peu artificiel et agaçant. Il faut avouer cependant que cette idée
d’un amour hors des sens entre l’homme et la femme répond à quelque chose de réel et de profond, puisque depuis l’avènement du
christianisme il n’a jamais cessé de hanter le cœur humain. Cependant grâce à vous j’ai pour la première fois senti dans Pétrarque quelque
chose de frais, de noble et de salubre que je n’y avais pas trouvé auparavant »...
62.
Paul CLAUDEL
.
M
anuscrit
autographe (fragment), [
Idéogrammes occidentaux
, vers 1925] ; 1 page in-fol. 200/250
D
ébut
d
’
une
conférence
. « Au moment de vous parler de ce que j’appelle des idéogrammes occidentaux, j’éprouve une confusion
mêlée de terreur. Que vont penser de moi les savants philologues qui m’entourent ? Aussi ce n’est pas en philologue que je veux vous
parler ce soir, c’est en poète. Du point de vue de la science, du point de vue de la philologie, il n’y a absolument aucun rapport entre le
sens d’un mot et sa forme phonétique, et comme preuve convaincante on aligne des homonymes comme
eau
et
haut
,
hêtre
et
être
, etc.
L’ouvrage de
M
allarmé
Les Mots anglais
où il essaye de classer les sentiments qui répondent à chaque consonne anglaise n’a jamais été
pris au sérieux. On n’y voit que fantaisie et arbitraire. Et cependant on n’ôtera jamais de l’idée d’un poëte, de n’importe quel poëte de
n’importe quelle nation, qu’il y a un rapport intime entre le son des mots et leur sens. On peut dire que cette idée erronée ou non est
la fondation de toute poésie »…
63.
Paul CLAUDEL
. L.A.S., Nara 7 mai 1926, à Léonard
A
urousseau
, directeur de l’École française d’Extrême-Orient à
Hanoi ; 3 pages et demie in-8, vignette et en-tête
The Nara Hotel
, enveloppe.
700/800
Il le remercie chaleureusement pour ses félicitations sur son « panonceau diplomatique ». Il se retrouve à Nara, et a fait des visites
inoubliables à Miyajina et au temple à pivoines de Hasé, où un vieil abbé vénérable l’a invité à écrire un poème sur un carton parsemé d’or :
« je n’ai trouvé autre chose que les lignes suivantes : “Je suis venu de l’autre bout du monde pour voir ce qui se cache de rose au cœur des
pivoines blanches de Hasé” »... Il évoque des visites au temple de Jimmô Tennô et à Isé, puis lui confie une lettre débordante de joie qu’il
vient de recevoir de
C
opeau
, qui jouit de l’étonnement de tous les convertis. « Et vous, mon cher ami, quand me donnerez-vous le même
bonheur ? Un an, plus d’un an déjà depuis que nous avons eu notre première conversation. À quoi sert d’attendre et à ne pas croire votre
âme qui meurt de faim et qui a absolument besoin de lumières. Toutes ces objections par lesquelles le diable essaye de vous retenir, jouez-
leur un bon tour en passant à travers sans même essayer d’y répondre. L’important est de vivre et non pas de philosopher. Qui s’engage
dans les chicaneries diaboliques
n’en sort jamais »... Il envoie la
lettre de Copeau. « Et vous aussi
apprenez à vivre, à respirer, à
espérer, à aimer, à croire ! Laissez
aller les rêves à votre âme et elle
vous conduira où il faut. [...]
L’intelligence n’est qu’un organe
de contrôle, mais ce n’est pas elle
qui vit, pas plus que ce ne sont les
yeux qui mangent »...
O
n
joint
une lettre ronéotypée
de Jacques
C
opeau
, Assise samedi
saint [3 avril 1926], à Claudel,
racontant le bonheur de sentir
la présence de Dieu, puis faisant
l’éloge de
Feuilles des saints
, en
particulier de
L’Architecte
. « A-t-
on jamais dit combien votre
poésie est humaine ? Nul n’a fixé
comme vous, du ton de la grande
poésie, certaines choses ordinaires
d’expérience quotidienne, certains
gestes, certains objets et certaines
vérités du cœur »... Il raconte un
souvenir émouvant de lecture de
L’Annonce
à ses enfants...