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Elle raconte à son « cher petit ami » sa halte à Vienne, où elle est arrivée il y a quelques jours, en parfaite santé : « J’ay eu pendant
tout le voiage, ces sertaine belles couleurs que j’avois pendant celuy du Housset, quoi que je n’aye pas bue le petit coup, ni chanté la
chansonnette »… Elle s’est arrêtée à Dorlac [Durlach] où elle a été reçue par le Margrave et la Margravine : « nous avons eu les yeux
mouillé en nous séparant. J’y ay ai été aussi a mon aise que je le suis chez moi. On m’a fait promêtre d’y retourner. Le prince et la
princesse ont de l’esprit, et du goût pour les arts. Mais cela n’est ni eclairé, ni conduit, cette petit cour la est magnifique et servie a la
françoise ».
Son voyage fait plus de bruit à Vienne qu’à Paris : « Il y avoit quinze jours que le prince de
K
aunitz
avoit donné ordre aux postes que
l’on l’averti de mon arriver ». Elle pensait séjourner trois ou quatre jours dans son auberge, mais il en a été tout autrement. Dès son
arrivée, sa chambre a été remplie de valets et de pages, porteurs de compliments et d’invitations, puis « les embassadeurs de toutes les
cours, et tous les seigneurs que j’ay reçu chez moi depuis bien des années, et dont je ne souvenois presque plus, sont venu me voir, avec
des expressions de reconoissance, et de sentiments, dont j’ay esté confondue ». La princesse
K
inski
ne la quitte plus. Le prince
G
alitzine
est venu le soir même de son arrivée : « Il ma donné tout ce qui me manquoit dans mon auberge il m’anvoye tous les matins du café à la
crème. Son carosse est le mien, enfin je suis comblée et accablée de ces attentions » ; c’est un homme adorable, qui ne la quitte pas. Elle
va tous les jours chez le prince
K
aunitz
, « le p
er
ministre de tous les p
ers
ministre de l’Europe. Il a un pouvoir absolu et une représentation
d’une dignité, et d’une magnificence ynimaginable ». Elle va dîner dans son jardin à deux pas de Vienne, où on fait une très bonne
chère ; et elle passe ses soirées dans son appartement au palais impérial, « superbe, bien eclairé et remplie de toute la cour et la ville, et
on y est comme si on etoit dans son boudoir » ; Kaunitz s’assied à côté d’elle et lui parle « avec beaucoup d’intimité. Et là, on me fait
des présentations sans fin, en me parlant de ma grande réputation, et de mon grand mérite. Vous autre qui vous moqué de moi toute la
journée, vous seriez confondus si vous voiez le cas que l’on fait de moi ici »… Elle raconte encore sa première rencontre sur la promenade
publique avec l’Empereur, qui vint lui parler à la portière de son carosse : « Il me dit que le roi de Pologne etoit bien heureux d’avoir
une amie comme moi. Je fus confondue et n’ay jamais etée si bête ». Le lendemain, elle a été reçue par l’Impératrice
M
arie
-T
hérèse
à
Schönbrunn : « Limperatrice ma parlé avec une bonté, et une grace inexprimable elle m’a nommée toutes les archiduchesses l’une apres
l’autre, et les jeunes archiducs. C’est la plus belle chose, que cette famille qu’il soit possible d’imaginer. Il y a la fille de l’empeureur
arriere petite fille du roi de France, elle a deux [douze] ans. Elle est belle comme un ange. L’imperatrice ma recommendée décrire en
France que je l’avois vue cette petite, et que je la trouvois belle » [il s’agit de
M
arie
-A
ntoinette
]… Elle croit rêver, et a confié la veille à
Kaunitz : « Mon prince la reine de Trébisonde ne pouvoit pas être reçue mieux que moi. Il me répondit personne ne peut être vu ici avec
plus destime, et de considération que vous. Vous etes respectée plus que vous ne pouvez jamais vous l’imaginer»…
Le Roi de Pologne a tout mis en œuvre pour « rendre mon voiage tres commode », et lui a envoyé un gentilhomme au titre de capitaine,
parlant toutes les langues, chargé de la conduire chez lui, avec meubles, vaisselle d’argent, cuisinier… Elle charge son petit ami de
compliments pour tous ses proches. Elle lui écrira de Varsovie. Elle ajoute pour finir que « l’imperatrice ma trouvée le plus beau teint
du monde ». Elle quitte Vienne le lendemain.
Publication par Edmond et Jules de
G
oncourt
,
Portraits intimes du XVIII
e
siècle
(Dentu, 1857-1858, t. I, p. 166-175).
Ancienne
collection du marquis de
B
iencourt
.
Littérature