70
211. [
Charles BAUDELAIRE
].
Fernand VANDÉREM
(1864-1939).
M
anuscrit
autographe signé,
Les Caprices de Thémis
,
[25 décembre 1925] ; 5 pages in-8 (3 découpées pour impression et remontées).
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ntéressant
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leur
du
M
al
et
la
J
ustice
, publié dans
Le Figaro
du 25 décembre 1925, après la saisie à l’Hôtel Drouot
d’exemplaires des
Fleurs du Mal
. Vandérem relate la parution du fameux recueil le 25 juin 1857, son mauvais accueil dans la presse, et
sa condamnation « pour outrage à la pudeur » : « Coup horrible pour le jeune poète qui, toute sa vie, en resta flétri. […] Mais laissons
ces considérations sentimentales et relevons les six pièces condamnées. Sur leur valeur poétique, qui aujourd’hui, de l’avis universel,
les range parmi les plus beaux poèmes de Baudelaire et parmi les joyaux de la poésie française, inutile d’insister. Passons donc à leur
examen du point de vue de la morale »… En conclusion, il en appelle à la révision du jugement de 1857. [Il faudra attendre 1949 pour
que ce jugement soit enfin annulé, et que les « pièces condamnées » ne le soient plus.]
O
n
joint
2 L.A.S. du baudelairien Jacques
C
répet
sur ses recherches (1946) ; et une de de Paul
B
rulat
à une poétesse auteur d’un
Hommage à Baudelaire
(1935).
212.
Simone de BEAUVOIR
(1908-1986). L.A.S., 24 juin 1928, [à Michel
P
ontremoli
] ; 4 pages in-4 sur papier mauve.
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L
ongue
confession de
son
premier grand amour
pour
son
cousin
J
acques
C
hampigneulle
. [Simone de Beauvoir a longuement raconté
cet épisode de sa vie dans les
Mémoires d’une jeune fille rangée
. La version confiée ici à un ami proche permet de rectifier les faits
transformés par la mémorialiste, et de mesurer la force de cette première expérience amoureuse. Michel
P
ontremoli
(190-1944) était le
condisciple de Simone de Beauvoir en philosophie à la Sorbonne, où elle préparait un mémoire sur Leibniz ; entré au Conseil d’État,
dont il fut exclu par les mesures antisémites, il fut un grand résistant et mourut fusillé.]
Elle parle d’abord du
Feutre vert
de Michael
A
rlen
, et du personnage « admirable » du roman, Iris Storm : « je le relis tous les jours
– et chaque fois il est plus parfait. C’est
mon
livre. Entre temps je me suis plongée dans l’œuvre immense de
L
eibniz
; je suis très
prise. Cet effort pour tout sauver m’émeut plus encore que l’audace d’un
S
pinoza
qui renverse tout »… Elle a aussi lu et relu la lettre
de Pontremoli, et croit bien comprendre. « “En cette vie seulement je puis sauver la mienne” cette phrase, j’ai lutté pendant deux ans
pour ne pas la prononcer – c’est vous dire comme je l’ai reconnue, presque douloureusement. Pour moi, le salut de mon âme éternelle
ne
doit
dépendre que de moi »… Il n’y a rien à dire devant son expérience à lui, mais elle s’étonne qu’il ne lui ait pas fait l’hommage
d’une parfaite sincérité… « Vous me dites que je suis restée dans l’abstrait – c’est que mon expérience n’est pas qu’à moi ; à cause de
cela, ça me gêne d’y toucher, de la maltraiter avec des mots également impuissants et en rendre les complications et la simplicité »…
Pourtant elle entreprend de le faire : « À 8 ans nous étions fiancés ; nous construisions ensemble des bateaux, des avions de guerre aux
armes de Guynemer, des compositions françaises et des pièces de théâtre ; sur les chemins de bois du Luxembourg nous faisions notre
voyage de noces ; il m’avait jugé digne d’être un garçon. […] À 13
ans, un soir où il venait de me réciter
La Tristesse d’Olympio
je me
suis dit qui sait si plus tard… – pourtant nous étions loin déjà du
“vert paradis des amours enfantines” »… Elle confie ses souffrances
d’être une écolière alors que lui, qui avait le même âge, était déjà
un homme que ses aînés traitaient en égal, qui parlait librement, et
qu’elle enviait… Vers 18 ans la sagesse de sa vie ne lui suffit plus :
« je m’ouvris à la vie intérieure, à la pensée, au monde entier avec
une violence inouïe – j’étais seule alors »… Puis brusquement il est
entré dans sa vie ; elle décrit l’effet éblouissant de « son jardin à
lui » : lettres, arts, musique, « idées jamais osées »… « Il était tout
cet univers – et aussi le seul qui prît part à cette existence neuve
qui se voulait un témoin, un confident, une aide – j’avais besoin de
lui à crier. Cependant je ne m’étais encore jamais dit “j’aime…” ».
Tel fut son dilemme : « Je subissais éperdument son influence ; je le
savais ; je l’acceptais – mais en même temps je cherchais en moi des
forces pour pouvoir m’y soustraire quand le jour serait venu – je vis
que quelque chose tenait bon, plus fort en moi que tout bonheur,
que toute peine : ma vie spirituelle, mon âme »… Après avoir passé
l’été sans lui, l’« amitié entière » qu’il lui offrit, fit qu’elle sut tout
de lui, et il perdit son prestige ; elle vit qu’il était comme elle,
incertain. « Et si cette faillite pour soi est douloureuse, quand c’est
pour un autre qu’on cherche je vous assure qu’il y a des jours où
l’on voudrait mourir »… Ils passaient des après-midis absurdes à
« démolir mutuellement les fragiles constructions que nous nous
apportions […] Puis comme il se lassait et qu’en moi s’exaspérait
au contraire le besoin d’une certitude, je me suis écartée un peu –
lui aussi »… Elle analyse sa lente et douloureuse séparation d’avec
Jacques, sa prise de conscience qu’elle pouvait aimer sa manière de
vivre sans fausser la sienne… « Cela fait deux ans qu’entre nous
rien ne fut secret, même ce que nous pouvions n’avoir aucune joie