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bruits de Paris commencent et à force de lassitude. Mauvais somme plein de cauchemars et de noirs tableaux ».

Mardi

. Il explique qu’il

ne peut manger des glaces : « C’est la glace pure que l’on fait fondre dans mon verre et qui seule empêche des vomissemens. […] Je suis

forcé de m’interrompre à tout moment parce que ma vue a des éblouissemens bleus et rouges. – Tes lettres sont charmantes, mon petit

Ange, et pleines de ton bon cœur et de ton aimable esprit ». Il espère, mais avec une pointe de jalousie, qu’Augusta peut jouir de sa

liberté : « combien de fois, sortie dès le matin rentres-tu à 10 h 1/2 et onze heures du soir ? […] Tu peux recevoir à présent tes amies

Polonaises, sans craindre qu’elles me trouvent assis chez toi […] Je te sais bon gré de me dire les jours et des leçons et il me semble que

je t’accompagne par la pensée dans tous ces petits voyages ». Il évoque l’installation par Augusta de sa vieille femme de chambre dans un

hospice, mais lui conseille de limiter ses secours : « Il est de la nature même de ces maisons publiques d’épargner souvent, quand on voit

des secours extérieurs arriver aux malades par des Dames protectrices. Plus on avance la main plus l’Hospice retire la sienne. Cela peut

avoir pour la malade ce danger que si les voyages éloignent les personnes qui la soutiennent, le pli est pris de la réduire quelque peu. –

Le Directeur m’a dit qu’elles n’avaient rien à apporter et tout à recevoir. Être là établie c’est recevoir un brevet de Longévité. […] Et les

doux visages paisibles et honnêtes des sœurs, leur sourire résigné sous un front si pur et si jeune, leur bonté qui jamais ne s’offense et

ne se révolte de rien. – Oui, oui ce sont là les plus belles fleurs que le Catholicisme ait fait naître »… Il prie Augusta de ne pas épargner

ses lettres : « ne les affranchis jamais. Les grandes enveloppes valent mieux que les autres parce qu’elles ne ressemblent pas à des lettres

de femme ». Il a brûlé sa dernière lettre : « c’était trop triste et je t’aurais fait mal. Je veux bien souffrir tout ce que j’éprouve de cruel ;

mais te le décrire est vraiment audessus des forces qui me restent. Depuis dix-huit mois je n’ai pas été un soir près de toi sans avoir un

vague pressentiment d’une crise comme celle du 4 septembre. – Chez toi, dans tes bras, là au milieu des baisers et du bonheur. – Je ne

cesse de penser à l’effroi que tu n’as pas eu pauvre cher petit Ange et c’est de cela que nous devons remercier la Destinée. Je baise ta

bouche mille fois, mon Ange bien aimé. »

*

Jeudi 3 octobre 1861

(4 pages). « Mais, mon Ange, dis-moi donc ce que deviennent mes lettres. J’espère que tu les as toutes à présent.

Je t’ai écrit la nuit, toute la nuit, Samedi dimanche et Lundi, […] un volume entier […] Les malades, dans les longues insomnies, se

souviennent de tout et pensent à tout ». Il rappelle qu’il est tombé malade le 4 septembre. Il tente d’arranger leur correspondance, soit

« par

l’arc de Triomphe

et la Victoire », soit par Antoni

D

eschamps

 : « je vais le prier de passer chez moi pour quelque chose de particulier.

– Je ne puis voir et ne vois personne. […] je suis encore trop faible pour une conversation prolongée avec deux personnes à la fois. Les

insomnies m’accablent et des douleurs au côté. Mais en prenant tout goutte à goutte je puis espérer reprendre la force de manger, sans

retomber dans ces horribles crampes d’estomac que tu sais et qu’il faut guérir à force de patience et de courage. On essaie de tout ce

qui a la réputation d’être léger pour l’estomac et jusqu’à ce jour tout m’a été douloureux excepté l’arow-root, mais il me laisse une telle

faiblesse qu’hier je n’ai pu traverser le salon sans une sorte de défaillance. Après un mois sans nourriture je pardonne cela à mon faible

corps. Quant à mon âme elle ne perd rien, crois-moi, de sa force, de sa sérénité même à présent que je sais qu’il n’y a pas de grand péril.

Elle ne perd rien non plus de sa constance à t’aimer et ne se tourmente que pour toi-même ». Il va la suivre par la pensée dans ses leçons,

« puisque j’ai ce chagrin de ne pouvoir te voir et t’accompagner où tu vas. – Encore un baiser ici pour ce soir. »

*

17 mai [1862]

(5 pages et demie). « Je n’ai jamais tant souffert que depuis trois semaines, mon amie chérie. – Je t’écris à 4 

h

du matin,

réveillé par la douleur comme par un ressort invisible et silencieux qui jamais ne manque son heure (3 h 1/2) à quelque moment que