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Littérature
je me couche. – L’insomnie et la faiblesse m’accablent. Je voudrais toujours t’écrire, mais l’effroi me prend de t’attrister et de te faire
mal. Le découragement que je cherche à repousser monte sur moi comme la marée et m’inonde. Cela devient du
Spleen
. – On espérait
me voir capable de reprendre quelques forces en mangeant mais le plus léger aliment ajouté à ma seule nourriture (le bouillon et une
petite tasse de lait) me cause des douleurs si violentes qu’hier je me roulais sur le tapis. J’essaie de me lever dans le jour et je n’en ai pas
la force, si ce n’est vers 3
h
ou 4
h
quelquefois et soutenu péniblement ». Il essaiera néanmoins de la voir passer, « mais je penserais avec
peine que tu es là quand le temps n’est pas très beau. – On me dit aussi quelquefois qu’il pleut et qu’il fait chaud ou lourd ou froid, je
n’en sais rien, je ne le sens presque pas tant l’autre douleur règne en moi et absorbe toute sensation ». Il la remercie de ses fleurs : « leur
feuille verte m’a fait une fois sourire doucement. Le sourire m’est devenu bien étranger. – Le silence et la solitude seront mes seuls
sauveurs et le régime de naufragé régulier et terrible de rigueur. – Je le suis avec résignation, mais je suis
triste jusqu’à la mort
, comme
dit l’Evangile. – Vois mon ange, ce que c’est que la science humaine ! » Il rapporte la confidence du « plus savant des médecins » qui le
soignent, désapprouvant les médicaments de ses confrères : « En consultation avec eux, il approuvait ou se taisait diplomatiquement ».
Il évoque Londres, « la ville de charbon de terre et de brouillard aux murs de brique grise barbouillés d’encre et de boue.
Fog
and
Smoke
ont empoisonné tes amies, j’en suis bien aise »... Puis il parle de sa photographie par
A
dam
-S
alomon
: « Le premier des hommes
Adam
et le plus sage des Rois :
Salomon
forment à eux deux un sculpteur admirable qui vient de m’envoyer plusieurs petites réductions de ton
grand portrait de moi qui est son chef-d’œuvre. J’en ai réservé une pour toi, la voici. Il faut que tu les aies toutes trois. – Tu me diras
celle que tu préfères et qui cause le mieux avec toi. – Je l’ai bien embrassée, celle-ci, avant de la laisser partir. – Elle est la meilleure, je
crois, mais qui se juge soi-même ? — Sois mon juge avec ton cœur, toi, mon Augusta »…
L
amartine
est venu la veille pour le voir : « On
venait de me remettre au lit avec un frisson violent, je n’ai pas pu lui parler ». Il arrête d’écrire : « Ma vue se trouble de
zig-zag
bleus et
rouges. – Embrasse-moi – je vais éteindre mes bougies, mes compagnes de nuit. »
*
Dimanche matin. – 24 août [1862]
« jour de S
t
Barthélemy martyr, comme moi » (2 pages). « J’ai été bien souffrant depuis mardi, chère
ange et aujourd’hui il me faut rester au lit. – Le vautour de Prométhée m’a mordu si fort que je ne peux rien prendre qui ne me laisse de
longues et constantes douleurs. – Depuis trois jours je n’ai rien rien mangé que des tasses de bouillon de poulet et du lait. – Il est bien
injuste que je sois ainsi torturé n’est-ce pas ? J’espère que deux jours de prison encore suffiront à me remettre debout ». Il espère pouvoir
aller la voir le lendemain « et présenter mes hommages à madame La Fauvette qui ne m’a pas seulement chanté un
Allegro
. Le médecin
est venu hier soir et ce matin. – Il le fallait bien. – Je ne dois prendre absolument rien que du lait. C’est par trop pastoral mais je suis
résigné à toutes les abstinences des moines. Cependant il me faudra autant de baisers que j’en désire en t’écrivant ceci. »
*
Lundi [1
er
décembre 1862]
(8 pages). « Jamais je n’ai souffert autant qu’à présent. Avant-hier soir et sans cause, à 10
h
les mêmes
accidens. Mais comment en être surpris au milieu de tant d’inquiétudes qui m’entourent et m’assiègent, des cris perçans que j’entends
jour et nuit, qui me font sortir du lit à 4
h
du matin et que rien ne peut calmer chez une malade [sa femme Lydia] dont la vue s’altère
et dont en même temps les pieds sont atteints de douleurs inouïes ». Sa lettre a été interrompue « par une de mes crampes d’estomac les
plus violentes. […] Au milieu d’une tristesse si profonde, je t’en prie, ne te laisse pas entraîner à des propositions
impossibles
, comme
celles que tu me répètes deux fois. Mon Dieu ! que tu les trouverais étranges, toi-même, si tu passais un moment dans cette maison
désolée. – Des lectures ? – à qui ? à une personne qui ne peut rien écouter et dont le lit est entouré de
gardes malade
et de médecins.