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– C’est dans l’état de repos où elles sont possibles, et cet état n’existe jamais ici. – Et d’ailleurs, comment expliquer ta présence ici à
ceux qui
savent
et à ceux qui seulement
soupçonnent
. – Quelle impossible et douloureuse diplomatie pour moi. – Dans aucun temps
je n’en serais capable. – Hors de chez soi, oui, tout est possible, mais ainsi, l’on n’y peut seulement songer. C’est alors que tout serait
pour toi sérieux et irréparable danger ». Il se désole de la fatigue et de l’ennui des courses d’Augusta dans Paris pour ses leçons : « Mais
que peut un prisonnier très-malade et si écrasé que je suis ? » Lamennais et Chateaubriand aussi ont donné des leçons : « Après tout
je vois là des conversations variées, du mouvement, des spectacles, la vie enfin. Et pour moi, depuis plus d’un an où est le bonheur,
la consolation, le repos seulement ? Toujours souffrir sans sommeil, sans trève à présent ! Le miracle est que j’y aie survécu jusqu’à ce
jour. […] Tes dernières lettres me serrent le cœur. – Elles se ressentent du voisinage de certaines femmes. Quelques mots secs et amers
s’en échappent brusquement. […] Depuis l’origine de cette lente maladie, tout ce que le courage et la bonté peuvent inspirer je crois
l’avoir fait. Qu’as-tu à me reprocher ? […] La maladie nous bourdonne aux oreilles des sentences douloureuses. – J’en écoute toutes les
nuits qui me font lever et marcher seul dans ma chambre. Un cri me fait tressaillir et passer dans l’appartement voisin. Sans en avoir la
force, je vis comme un voyageur que la cloche du chemin de fer appelle et force de s’habiller à la hâte. – Et je cache ce que je souffre
et vais souffrir dans ma chambre, comme lorsque je me sauvais de la tienne pour aller seul dans les Champs Elysées ». Puis il dit son
mécontentement de la reprise du
More de Venise
au Théâtre Historique, par des « aventuriers » qui l’ont « trompé et contre leur intérêt
même ; contre tout droit et toute convenance, m’ont caché les répétitions, la première représentation même et ont fait la distribution
des rôles contre mes instructions ». Il a tenté de faire interdire les représentations, mais « ils ont continué, et j’ai cru même qu’ils
profiteraient de cet escamotage pour plus longtemps, mais les huissiers les ont arrêtés à temps et, d’après ce que beaucoup de personnes
disent, c’était une sorte de Carnaval de Venise plutôt qu’une tragédie. Tout y manquait, j’ai en cela accordé trop de confiance à des
inconnus qui s’entendaient pour soustraire une suite de représentations, sur ces tréteaux qui vont être rasés et ne seront peut-être jamais
reconstruits »... Il ajoute quelques lignes mardi soir, concluant : « Je souffre affreusement, j’attends mon médecin, et ne pourrai rien
prendre même du lait à l’heure du dîner. J’ai des crampes bien violentes. »
*
Lundi 3 février 1853
(1 page bordure deuil [Lydia de Vigny est morte le 22 décembre]) « Si Madame de S
t
Aman [Augusta] veut
venir mercredi soir vers 8
h
1/2 ou 9
hs
elle trouvera seul un malade qui hier et avant-hier l’était plus douloureusement que jamais et
aujourd’hui est abattu par une inexprimable faiblesse égale à la tristesse mortelle de son âme. »
*
Mardi 11 février 1863
(1 page deuil). « J’ai été bien malade encore et saisi par une violente crise. Demain soir la petite marquise
poudrée en verra les traces et je l’attends comme elle le désire. J’ai à peine de mon lit, la force de le lui écrire. »
*
Dimanche 24 mai 1863
(4 pages deuil) [on verra que le ton a bien changé, et que Vigny voussoie maintenant Augusta]. « Je suis au
lit, ma chère amie, j’y ai reçu votre dernière lettre au milieu de mes cruelles douleurs. – Elle est plus loyale que les autres. Son langage
est moins empreint d’amertume, de chicanes extravagantes et de singuliers rôles distribués par vous autour de vous ». Si Augusta est
souffrante et doit interrompre ses leçons, Vigny tâchera de l’aider, mais se montre blessé du mot de
sacrifices
dit par Augusta : « pendant
ces deux ans de
ponctualité
tout a été
sacrifice
de ma part. Il ne m’est pas permis, il ne m’est pas possible de les rendre réguliers, et à peine
pourrai-je quelquefois subvenir à quelque accident de votre vie ». Il lui conseille de se rapprocher de sa famille, et de se faire amicalement
remplacer par ses amies institutrices. Il a des visites « soir et matin » de parents anglais et de sa famille française : « Cette assiduité me
touche mais quelquefois m’accable de lassitude. […] Soyez moins amère pour ceux qui vous aiment et que vous méconnaissez, ma chère
amie. Il faut savoir, dans ce triste monde, faire la part de toute chose. Ne pas se dire
blessée
des regrets et de la douleur bien légitime dont
on est témoin. – Il faut comprendre tous les nœuds de
convenances
et les nécessités d’affaires par lesquels un homme est lié comme par
les chaînes de
Gulliver
. C’est bien assez d’en souffrir, il ne faut pas attendre de lui que, sans y être obligé, il en rende compte. – C’est
une plaisanterie froide et amère que de parler dans chaque lettre de sa
jeunesse
. Après 25 ans cela n’est plus convenable. – Cela semble à
un reproche fait à d’autres de : ce que de plus que vous on en pourrait avoir. Adoucissez-vous, calmez-vous, soignez-vous et soyez sûre
que je ferai tout ce que peut faire la plus sincère affection, au milieu des accablemens de souffrances et d’affaires cruelles »…
*
24 août 1863
(2 pages et demie deuil) [c’est la toute dernière lettre à Augusta ; Vigny meurt le 17 septembre]. « Il faut se résigner à
ma prudence. Il le faut. Il faut me laisser faire et vivre en Trappiste quoique j’en souffre cruellement, mon amie. Mais il s’agit de vous.
– Moi seul je peux mesurer la portée des calomnies, des médisances, des espionnages multipliés, perpétuels, nuit et jour que l’assiduité
ne cesse de m’apporter. Moi seul je peux accomplir en silence ce que je veux faire pour satisfaire mon cœur. Vous-même n’en devez
rien savoir. Seulement ne m’accusez jamais. Ne cessez pas d’accomplir votre carrière et d’exercer ce grand art que
C
onfucius
nomma
le
perfectionnement de soi-même et des autres
. – L’Éducation et tout ce qui la rend accomplie est une chose presque sacrée. – J’aime à me
représenter dans mon lit de supplice un nuage de petits Chérubins qui vous entoure les pieds et vous baise les mains, comme ceux de
la Vierge de Morillo [Murillo]. Une seule chose me reste à reconquérir, c’est la force de me tenir debout et de marcher seul. Aucun des
naufragés de la Méduse n’a souffert plus que moi excepté ceux qui ont
mangé de l’Homme
. Attendez donc avec courage amie toujours
aussi chère et croyez en moi ». Il ajoute : « Vous avez raison de fermer vos oreilles et vos yeux à la voix et à l’aspect des méchans qui se
lasseront de leurs inutiles manœuvres contre vous qui ne leur avez rien fait. »
Lettres d’un dernier amour
(lettres
v
,
vi
,
ix
,
xvii
,
xxiii
,
xxxii
,
xxxiii
,
xxxiv
,
xxxvii
,
xxxviii
).
368.
VOLTAIRE
(1694-1778). L.S. « Voltaire gentilhome ord
e
de la chambre du roy », château de Ferney par Genève 13 janvier
1765, à M.
B
essin
, curé à Plainvelle, près Bernay en Normandie ; la lettre est écrite par son secrétaire Jean-Louis
W
agnière
;
¾ page in-4, adresse avec sceau de cire rouge aux armes (bords légèrement effrangés).
1 200/1 500
« Vous m’avez envoié des vers bien faits et bien agréables, Monsieur, et vous m’apprenez en même temps que vous êtes curé ; vous
méritez d’avoir la première cure du Parnasse. Vous ne chanterez jamais d’antienne qui vaille vos vers. Si je ne vous ai pas répondu
plutôt, c’est que je suis vieux, malade et aveugle. Je ne serai pas enterré dans vôtre paroisse, mais c’est vous que je choisirais pour faire
mon épitaphe »…
Correspondance
(Pléiade), t. VII, p. 1000.