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«L
A
VRAYE
ET GRANDE
ECOLE QUY
EST
LE
VOYAGE
»
5. BRUNEL
(Antoine). Manuscrit de son [
Voyage d’Espagne
], environ 220 ff. manuscrits in-folio, veau
brun granité, dos à nerfs orné à la grotesque, tranches marbrées, reliure usagée avec mors fendus et
une épidermure sur le second plat, quelques ff. un peu tachés (
reliure de l’époque
).
3 000 / 4 000
U
NE
DES
RARES
COPIES
MANUSCRITES
DE
CETTE
RELATION
QUI
CIRCULÈRENT
AVANT
SON
IMPRESSION
:
l’édition
originale fut publiée en 1665 à Paris chez Charles de Sercy sous le titre de
Voyage d’Espagne, curieux,
historique, et politique.
U
NE
ÉTAPE DU
«
GRAND
TOUR
»
EN
E
SPAGNE
.
Antoine Brunel, seigneur de Saint-Maurice-en-Trièves (1622-1696),
fut appelé comme précepteur des deux enfants du colonel hollandais Cornelis Van Aerssen, gouverneur de
Nimègue, ls du célèbre diplomate François Van Aerssen. C’est en cette qualité qu’il accompagna ses élèves
dans leur voyage en Allemagne, France, Espagne et Italie. Brunel livre donc ici des «
memoires d’une partie
de cette vie, que nous employons depuis six ans à estudier le monde en la vraye et grande ecole quy est le voyage
» :
la partie espagnole de leur périple dont il est question ici concerna principalement Madrid et sa région
– Alcalá de Henarès, les palais d’Aranjuez et de L’Escurial – où ils parvinrent en passant par Irun et Burgos,
et d’où ils repartirent par Saragosse et Pampelune. Si l’un des deux jeunes gens, François Van Aerssen,
seigneur de Sommelsdijk (1630-1658), périt peu après dans un naufrage, l’autre en revanche, Cornelis
Van Aerssen, seigneur de Spijk (1637-1688), joua ensuite un rôle important dans l’histoire coloniale des
Provinces-Unies, devenant gouverneur du Suriname.
U
NE DES
PLUS
IMPORTANTES RELATIONS DE VOYAGE DANS
L
’E
SPAGNE DU
SIÈCLE D
’O
R
,
avec ceux de François Bertaut
et de madame d’Aulnoy : Antoine Brunel aborde la géographie, la politique, les mœurs, les questions
sociales, et ne dédaigne pas de décrire les gens du peuple, artisans ou lles de joies. Humaniste exempt
de préjugés ou préventions, il se révèle lecteur de Gracián, Quevedo, Saavedra Fajardo, d’ouvrages parus
en Espagne pendant son voyage (dont un d’Alosa y Rodarte), et se montre capable de voir dans la guerre
franco-espagnole le résultat d’une rivalité entre puissances et non celui d’une différence fondamentale
entre nations. Le présent récit connut un large succès et une diffusion européenne à travers des traductions
en hollandais, allemand et anglais.
«
L
ES
G
RANDS D
’E
SPAGNE NE
LE
PAROISSENT QUE DE
LOING
; icy je les trouve fort petits et crois que tout leur advantage
consiste à se pouvoir couvrir et asseoir en presence du roy, n’y ayant au reste republique où je voye plus d’egalité qu’icy.
Un cordonnier, quand il aura quitté sa forme et son haleine [son alène], et qu’il aura mis son espee et son poignard à
son costé, à peine levera-t-il le chapeau à ceux pour lequel il travailloit un moment auparavant dans sa boutique. On ne
peut parler au moindre de la populace sans luy bailler tous les titres d’honneur, et entre eux ils traittent de seignores
cavalleros. Quand un gueux demande l’aumosne, en la luy refusant il faut luy faire compliment
ex formula, “Perdone,
V. M., non tengo dineros”
, c’est-à-dire “Pardonnez-moy, Monsieur, je n’ay point de l’argent, ou de monnoye”...
»
«
L
E
PRINCE
DE
C
ONDÉ
ET
SON
PARTY
leur sera à present à charge, et... si Quevedo vivoit, il le joindroit à la deffuncte
royne mère et au duc d’Orleans pour cette nouvelle espece de stratageme par lequel
dispara el rey de Francia por
batiria todo so linajje con achaque de mal contentos para que en saeldos, socorros y gastos, los Españoles
consumen las consiñaciones de los exercitos, quando se vio hazer un rey contra otro municion de dientes
y muelas de sus proximos y dendos, s’ardides mendicante mas pernicioso, militar con el Mogollon [il s’agit
là d’une citation libre de la célèbre œuvre de Francisco de Quevedo,
La Hora de todos y la Fortuna con seso].
À present que ce prince est retiré chez eux et qu’il n’a plus de troupes, ny de troupes en France, ils semblent tomber
dans ce sentiment, et nonobstant les merveilles qu’il t à sa deroute d’Arras, et pour lesquelles on dit que le roy luy
escrivit en ces termes :
“Mi primo he intendido todo estava perdido. V.A. ha conservado todo”.
Ilz se plaignent
des grosses pensions qu’ils luy donnent, quoyqu’ils le luy payent mal. En effet, il y en a quy font cette remarque que
pendant qu’ils consument leurs deniers en son entretien et celuy de son party abbatu, la France prof te de toutes
les grandes pensions qu’elle luy donnoit pour le contenter, et de tous ces grands biens qu’il possedoit, qu’elle luy a
con squez, par où elle peut puissamment remedier à la perte de quelques regimens dont elle a grossy leur armee.
Quant à sa personne, ils en ont toute l’estime qu’elle merite, et son nom y est en grande veneration parmy le peuple et
les Grands. Mais il est estranger et prince du sang de la Couronne ennemie, et par là leur armee est plustost embellie
d’un tres-grand capitaine, qu’elle n’en est munie puisqu’ils n’osent la luy er tout entiere...
»