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757.
Lucie DELARUE-MARDRUS
(1880-1945) poétesse.
2 lettres autographes signées « Lucie Delarue Mardrus » et « L. Delarue Mardrus », Paris janvier-juillet 1924, [à Victor
M
ARGUERITTE
] ; 5 pages in-8.
300/400
B
ELLES
LETTRES
LITTÉRAIRES
.
3 janvier
. Elle le remercie pour l’envoi de son livre dédicacé
Le Compagnon
et ses compliments sur
Le Pain blanc
: « Votre roman, commencé dans les
bas-fonds, finit heureusement en coup de soleil bien sain, bien tonique.
Pardonnez-moi. Je lui reproche son ton bondieusard à rebours, car la vie n’est
pas comme ça. La vertu récompensée et le vice puni, la symétrie parfaite, qui
oppose une destinée à l’autre, c’est de la pure fable. De plus votre idéal de la
femme ne me paraît pas séduisant du tout. C’est la réalisation du boulevard
Haussmann dans le domaine moral. Je suis forcée de devenir féministe,
mais j’ai horreur de ça, pour bien des raisons trop longues à énumérer »...
19 juillet
. Elle vient de lire
Le Peuple
: « C’est un beau rêve que je souhaite
à l’avenir de réaliser – sans y croire. Pardonnez-moi. L’épisode des trains
arrêtés par les femmes est très beau. Vous avez fait une fresque lyrique avec
des matériaux modernes, qui semblent y prêter si peu. Je continue à vous
reprocher de mettre les bons d’un côté, les premiers déguisés en grotesques
et les autres, en anges. L’humanité tout entière est caricaturale et angélique à
la fois. Le hachis est autrement homogène que vous ne le pensez – ou rêvez.
Mais je sais qu’il faut toujours miser plus haut que le but pour l’atteindre
et que tous les prophètes ont
exagéré
pour obtenir le minimum, y compris
le Christ avec son
Aimez-vous les uns les autres…
qui dépasse tout comme
utopie.
Supportez-vous les uns les autres…
était déjà trop fort pour la férocité
humaine »…
756.
Sidonie-Gabrielle C
OLETTE
, dite COLETTE
(1873-1954) écrivain.
Lettre autographe signée « Colette de Jouvenel », [Paris juin 1923], à
SA
FILLE
Colette de J
OUVENEL
; 3 pages et demie
in-4 à son adresse
69, Boulevard Suchet
.
1 200/1 500
B
ELLE
ET
SÉVÈRE
LETTRE
À
SA
FILLE
,
ÂGÉE
DE
DIX
ANS
,
EN
PENSION
AU
L
YCÉE
DE
S
AINT
-G
ERMAIN
-
EN
-L
AYE
.
« Je ne saurais, ma petite fille, admettre que tu me
traites légèrement, je te l’ai déjà dit. Ta moyenne de
retenues, pour les sorties de quinzaines, commence
à dépasser ma patience. Et quel est le regret
que tu m’en témoignes ? “J’espère que tu m’as
pardonné d’être privée de sortie.” Tout de suite
après cette phrase qui ne donne aucune explication
et ne témoigne d’aucun repentir, tu passes à ton
agrément personnel. “Voudrais-tu m’envoyer
beaucoup d’objets comme jouets, parfums, choses
anciennes, etc.” Pourquoi donc ? Pourquoi devrais-
je avoir toujours la peine et toi le plaisir ? Un trait
de ton caractère est de ne pas connaître longtemps
le regret, et d’être parfaitement contente de toi,
ce qui implique aussi l’insouciance des autres.
Je crains bien qu’à cause de cela tu te fasses peu
d’amis solides, dans le présent et l’avenir. Tes
parents et tes éducateurs peuvent quelque chose
pour ton instruction, ta santé et ton bien-être ; ils
ne peuvent rien sur ton cœur, si ton cœur est trop
petit, insouciant et ingrat. Je te parle sans colère, et
avec mélancolie. C’est pour toi que je crains, et non
pour moi. Tu nous prives ici de ce déjeuner familial,
la seule heure où puissent se rassembler des parents
qui travaillent trop, et une enfant qui ne travaille
pas assez. Ces jours de retenue, il est probable que
tu les passes gaîment. Nous, il nous manque une
petite figure d’enfant, son sourire, et sa passagère
gentillesse. Je t’embrasse, ma chérie, et je voudrais
t’écrire que je t’embrasse d’un cœur content, mais
je ne le puis ».
Lettres à sa fille
(Gallimard, 2003, p. 66).
Vente 15 mai 2001
(n° 56).