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BARRÈS, Maurice.
Le Voyage de Sparte
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Paris, Librairie Félix Juven, 1906
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In-12 [187 x 118 mm] de 300 pp., (2) ff. : demi-maroquin tabac à coins, dos à nerfs orné,
non rogné, tête dorée, couverture et dos conservés
(Semet & Plumelle)
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Édition originale : elle est dédiée à la comtesse Anna de Noailles.
Exemplaire sur papier d’édition. (Il a été tiré 10 Japon et 20 Hollande.)
Le récit inspiré du pèlerinage de Maurice Barrès en Grèce au printemps 1900 prend figure de
manifeste et dresse le bilan d’un séjour qui l’avait déçu, au point de le ramener encore à sa terre
et à son héritage propres.
Précieux envoi autographe signé à l’encre violette sur le faux-titre :
à Marcel Proust,
son ami,
Maurice Barrès
Du “prince de la jeunesse” à l’un de ses disciples inavoués.
Les rapports qu’entretinrent Proust et Maurice Barrès, l’aîné de neuf ans dont certains traits ont
été empruntés pour le personnage de Bergotte, furent complexes ; si l’influence barrésienne est
manifeste dans son œuvre, l’auteur de la
Recherche
s’évertua à prendre ses distances en public,
raillant son “amour du poncif” ou dénonçant son nationalisme anti-dreyfusard. “Toute sa vie
Proust se flatte d’avoir résisté à Barrès, à son ironie glacée, et de son côté Barrès se méfie de Proust,
affiche sa condescendance avant d’en être réduit au dépit étonné devant la gloire du romancier en
1921. [...] Le prestige de Barrès va toucher d’un rayon oblique certaines pages proustiennes et le
préparer à des révélations importantes” (Anne Henry).
Les deux écrivains se rencontrèrent sans doute dans le salon d’Anna de Noailles dont ils étaient des
familiers ; c’est aussi là, en 1905, qu’ils se réconcilièrent après avoir pris des positions radicalement
opposées lors de l’Affaire Dreyfus. Ainsi, en janvier 1906, quelques semaines avant la publication
du
Voyage de Sparte
, Proust avait adressé à Maurice Barrès une lettre fameuse le remerciant de ses
attentions lors du décès de sa mère : “Si je n’étais malade il y a bien longtemps que je vous aurais
remercié d’avoir été si bon pour moi, dans cette lettre que j’ai souvent relue. Il me semblait que
Maman la lisait avec moi, que nous l’admirions ensemble […].”
Les tribulations
en Grèce d’un
“
Chateaubriand
pince sans rire
”
Fin février 1906, Marcel Proust adressait une longue critique à l’auteur de “ce merveilleux
Voyage de Sparte
” qu’il a lu avec attention. Aux éloges sur “la fécondité incessante du style”
ou “l’admirable comique qui enchante plus que Molière parce qu’il est plus près de nous”,
le romancier ajoutait des réserves. “Les quatre vingt premières pages du livre sont il me
semble le chef d’œuvre d’un des deux Barrès qui est en vous, du Chateaubriand pince sans
rire, et qui pince vraiment, qui plus embrasse que Chateaubriand ce qui ne l’empêche pas de
plus exactement étreindre.” Il lui reproche cependant “des pages stériles que vous avez laissé
mâcher par les chèvres et où vous vous êtes «souvent ennuyé comme ici». Même des épithètes
de louanges mises avec ennui et froides. […] Quant à l’autre Barrès, le divin mélodiste, jamais
il ne fut plus inspiré que dans la seconde partie du volume et dans la dédicace” – à leur amie
commune Anna de Noailles.
Maurice Barrès (1862-1923) assista à l’enterrement de Proust et, s’adressant à Mauriac au
cimetière du Père-Lachaise, il aura cette réflexion : “Enfin, ouais… c’était notre jeune homme !”
Bel exemplaire.
Des bibliothèques
Jacques Guérin
(24 nov 1986, n° 9) et
Louis de Sadeleer
, avec ex-libris.
6 000 / 8 000 €