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ACADÉMIE FRANÇAISE
me semble plus mou de facture, plus commun, & trop abondant en
dialogues ». Il loue le personnage de M
lle
Chaussepied, « la vraie mère
d’actrice, l’éternelle maquerelle donnée par la nature oscillant entre
la prostitution & le mariage », mais désapprouve « la venue parallèle
du médecin tant pis & du médecin tant mieux […] tout cela ne mord
pas, il y a fatigue ». Cela se relève ensuite, avec la Mélédine à Bade :
« J’aime cette espionne. On s’imagine qu’elle devait avoir des ressorts
fantastiques dans le bassin. Oui je
sens
son casse-noisette ! – & et
je vois son clitoris fait en manière de tire-bouchon, avec quoi elle
happait les secrets d’&tat. Son vagin me semble plein de mystères
tragiques, comme le corridor d’un palais ducal, à Venise »...
L’analyse continue, Flaubert épluchant le roman page après page,
tantôt louant tantôt critiquant… Nous n’en donnerons que quelques
extraits. « J’adore Lorvieux ! énorme. Est-ce mon portrait à soixante
ans que tu as voulu faire ? Je le crois, & ça me flatte. Car il ne faut
pas se le dissimuler, c’est comme cela que je serai sur le retour.
[…] À partir du ch. X nous entrons dans l’épique – & ça vous tient
haletant pendant 106 p. sans discontinuer. – Les effets de neige &
de paysage, la chanson patriotique des exilés coupée par des coups
& le bon Eytmin tout cela est
excellent
, mon vieux,
excellent
. & ça
ne faiblit pas. Tu as eu là une fière poussée, résultat d’un plan bien
conduit, & d’une imagination vigoureuse. […] J’aime ta Californie avec
ses trottoirs de bois, ses boues, & ses ballots. Mais tout disparaît
devant l’idée de Cerveiro ! Je lisais cela hier sur mon lit – j’ai bondi,
comme une anguille en rugissant comme un taureau. – & non seu-
lement l’idée est sublime, mais elle est admirablement exécutée. On
voit la pauvre Barberine à la toucher ! […] Enfin l’œuvre finit sur une
petite note sentimentale qui console, & émeut. Car tu as fait (je ne
sais si tu l’ignores) un livre
consolant
. On y “respire” partout l’amour
du Bien & on voit comment les jeunes gens tournent mal quand ils
n’ont pas de principes. Je ne blâme nullement la chose dans un
livre d’Imagination. – Tu as eu d’ailleurs
l’art
de ne montrer que des
faits
probables
; on est emporté par le torrent de ta narration. […]
je te becotte sur les deux joues, en te dressant dans mon cœur un
PIÉDESTAL ! Tu es un gars ! »…
Correspondance
(Pléiade), t. III, p. 339.