Previous Page  70 / 228 Next Page
Information
Show Menu
Previous Page 70 / 228 Next Page
Page Background

68

les collections aristophil

933

FLAUBERT Gustave

(1821-1880).

L.A.S. « G

ve

Flaubert », Mardi [11 février

1857, à son ami Frédéric BAUDRY] ;

4 pages in-8 sur papier bleu (petites

fentes réparées).

5 000 / 7 000 €

Intéressante lettre sur

Madame Bovary

,

entre sa publication en revue et l’édition

originale

.

[

Madame Bovary

a paru dans la

Revue de

Paris

du 1

er

octobre au 15 décembre 1856.

Flaubert est poursuivi pour atteinte aux

bonnes mœurs et à la religion, et acquitté

mais blâmé le 7 février 1857. L’édition originale

est publiée en avril par Michel Lévy.]

Il attend Baudry (« ô brave homme »)

dimanche, et partira probablement le soir

avec lui pour Versailles, « afin de fuir les

cornes à bouquin qui me mettent les nerfs

en morceaux. J’en ai horriblement souffert

pendant le Carnaval dernier. Je suis d’ailleurs

dans un état sombre. La Bovary m’assomme !

Comme je regrette maintenant de l’avoir

publiée ! Tout le monde me conseille d’y faire

quelques légères corrections

par prudence

par bon goût

etc. Or cette action me paraît

à moi une lâcheté insigne puisque dans ma

conscience je ne vois dans mon livre rien

de blâmable (au point de vue de la morale

la plus stricte). Voilà pourquoi j’ai dit à Lévy

de tout arrêter. Je suis encore indécis. […]

Et puis ? l’avenir ! quoi écrire qui soit moins

inoffensif que ce roman ? On s’est révolté

d’une peinture impartiale. Que faire ? biaiser,

blaguer ? non ! non ! mille fois non !

J’ai donc fort envie de m’en retourner &

pour toujours dans

ma campagne

et dans

mon silence, – et là, de continuer à écrire

pour moi. Pour moi seul. Je ferai des livres

vrais

et corsés, je vous en réponds. L’insouci

de la renommée me donnera une roideur

salutaire. J’ai beaucoup perdu cet hiver. Je

valais mieux il y a un an. Je me fais l’effet

d’une prostituée.

En un mot le tapage qui s’est fait autour

de mon premier livre me semble tellement

étranger à l’art, que je suis

dégoûté de moi

.

De plus comme je tiens infiniment à mon

estime, je voudrais bien la garder, & je suis

en train de la perdre. Vous savez que je n’ai

point le prurit de la typographie. Je vivrai très

bien sans elle. Car il me paraît impossible

d’écrire une ligne en pensant à autre chose

qu’à mon œuvre. Mes contemporains se

passeront de mes phrases, – et moi je me

passerai de leurs applaudissements – & de

leurs tribunaux. L’hypocrisie sociale étant

la plus forte, je fuis bravement la bataille –

résigné à vivre désormais comme le plus

humble des bourgeois »...

Correspondance

(Pléiade), t. II, p. 680.