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64

les collections aristophil

931

FLAUBERT Gustave

(1821-1880).

L.A.S. « ton G. », Samedi 1 h. [« 16 avril 1853 » de la main de

Louise Colet], à Louise COLET ; 4 pages in-4.

12 000 / 15 000 €

Très belle lettre sur l’écriture de

Madame Bovary

.

Il a été la veille « d’une tristesse funèbre, atroce, démesurée, – et

dont j’étais stupéfait moi-même. Nous ressentons à distance nos

contre-coups moraux. Avant hier, dans la soirée j’ai été pris d’une

douleur aigue à la tête, à en crier et je n’ai pu rien faire. Je me suis

couché à minuit. Je sentais le cervelet qui me battait dans le crane,

comme on se sent sauter le cœur quand on a des palpitations. […] Je

ne m’occupe plus que de ma Bovary, désespéré que ça aille si mal ».

Il tente de consoler sa « pauvre amie », dont la lettre est « pleine de

sanglots ». Il lui enverra de l’argent si elle en a besoin et si elle échoue

au concours : « quant à l’Académie je médite (en cas d’insuccès) une

vengeance raide qui leur tapera sur les doigts & les fera lire à l’avenir

les pièces à juger, avec plus d’attention. Mais je crois que Villemain

va faire les cinq cents coups. – C’est comme la bataille de Marengo

tu la gagneras peut-être au moment où tu crois tout perdu »... Si

elle échoue, il lui propose d’apporter à Mantes

L’Acropole

: « nous

reverrions tout, ne laissant rien passer comme à

la Paysanne

. Nous

en ferions une chose parfaite, ce qui ne serait pas difficile. Le morceau

des Barbares serait exécuté

comme je l’ai conçu

, c’est-à-dire on y

taperait légèrement sur ceux qui échignent l’antique sous prétexte de

le conserver, badigeonneurs, faiseurs d’expurgata, professeurs, etc.

On pourrait faire là-dessus un mouvement crane & où l’Académie

ne serait pas ménagée sans la nommer. – Puis le lendemain du prix

je publierais mon

Acropole

avec une note “Ce poëme n’a pas eu le

prix” »... Il vient de relire deux fois

La Paysanne

: « C’est superbe

(sans exagération). Ça marche comme un chemin de fer & c’est plein

de couleur. Q[uoi]que je la susse presque par cœur j’ai été attendri

encore ». Il signale quelques fautes à revoir, et donne des indications

typographiques pour la composition du titre, dont il trace la maquette…

« Supprime aussi, aux annonces des autres récits, la femme intelligente,

qui a l’air de faire une classe à part. La femme intelligente n’est pas

un rang dans la société. Mets la lionne, la bas-bleu n’importe quoi.

Mais pas d’épithète qualificative »...

Puis il revient à

Madame Bovary

. « Je suis brisé de fatigues, & de

fatigue – & d’ennui – Ce livre me tue. Je n’en ferai plus de pareils.

Les difficultés d’exécution sont telles que j’en perds la tête dans des

moments – on ne m’y reprendra plus à écrire des choses bour-

geoises. La fétidité du fonds me fait mal au cœur. Les choses les plus

vulgaires, sont par cela même atroces à dire. & quand je considère

toutes les pages blanches qui me restent encore à écrire j’en demeure

épouvanté. – À la fin de la semaine prochaine j’espère te dire p[ou]

rtant quand est-ce qu’enfin nous nous verrons. […] Ce sera dans trois

semaines, je pense. Si un bon vent me soufflait je n’en aurais pas

pour longtemps. – Que c’est bête de se donner tout ce mal-là, &

que personne n’appréciera jamais ! – Mais je me plains, quand c’est

toi qu’il faut plaindre. Peut-être m’envoies-tu ta tristesse. – Eh bien

prends donc toute ma force – & mes baisers les plus tendres – Je

mets ma bouche sur tes lettres, mon cœur sur ton cœur »...

Correspondance

(Pléiade), t. II, p. 4.