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204

les collections aristophil

1161

VIGNY Alfred de

(1797-1863) [1845,

32

e

f].

L.A.S. « Alfred de Vigny », [20 (?) mai

1842], au poète Victor de LAPRADE ;

4 pages in-8.

800 / 1 000 €

Très belle lettre sur son échec à l’Académie

française, et sur la poésie

.

[Vigny a subi trois échecs successifs au début

de 1842 pour ses premières candidatures à

l’Académie, le 17 février (c’est le duc Pasquier

et Ballanche qui furent élus) et le 4 mai (contre

Henri Patin). Victor de LAPRADE (1812-1883)

a publié dans la

Revue du Lyonnais

un grand

article soutenant énergiquement la candida-

ture de Vigny, qui ne sera élu que le 8 mai

1845, à sa septième tentative.]

« Je ne sais vraiment si je ne dois pas remer-

cier l’Académie de ses rigueurs puisqu’elles

me valent des témoignages de sympathie

comme le vôtre, Monsieur, et celui de ces

Esprits Poëtiques qui savent se recueillir pour

rêver et se réunir pour s’entendre. Parmi les

lettres que j’ai reçues de plusieurs pays à

cette occasion, je compte la vôtre comme

l’une des plus précieuses, parce que je

connais votre Poësie et votre personne et

que j’aime l’une et l’autre.

Je savais déjà comment la ville de Lyon avait

ouvert ses bras et son cœur même à

Chat-

terton

et à d’autres de mes ouvrages. […] Vos

regrets me sont les plus doux à entendre car

c’est dans vos cœurs fervens que demeure

et se conserve l’amour de la

Poësie

et le

talent des Poëtes. N’espérons pas que le

nombre soit jamais bien grand de ceux qui

sauront seulement comprendre la Poësie et

suivre nos pensées sous le double voile du

symbole et de l’harmonie. J’ai vu et vous

aussi sans doute, des hommes de beau-

coup d’esprit, (mais d’esprit seulement) tout

éblouis et comme étourdis d’une lecture de

la plus belle Poësie, ne pas y comprendre

un mot, l’avouer et demander une seconde

ou troisième lecture.

Excepté par les Poëtes, les vers sont toujours

mal lus et c’est encore une des barrières

qui séparent le Poëte du public, j’ai souvent

pensé qu’il nous faudrait des Rapsodes. La

prose plus heureuse n’a pas besoin de la

voix »...

Après avoir fait l’éloge de la

Psyché

de

Laprade, Vigny lui recommande de ne pas

limiter son abondance naturelle : « C’est

pour vous comme pour d’autres Poëtes qui

furent des plus célèbres, une nécessité que

de laisser se répandre les cataractes et les

cascades de vers nombreux qui viennent du

fond de votre âme. Les sujets les plus étendus

seront, je crois ceux qui vous réussiront

toujours le mieux et vous devez sans réserve

vous y livrer. Les Grâces ont entendu votre

belle invocation et elles ont touché votre

front de leurs lèvres ».

Vigny évoque alors ses échecs à l’Académie,

la conduite des académiciens, et « la quantité

de basses ruses et de petites vengeances que

renferment les coteries qui s’agitent dans

toute élection. – Mais depuis que je pense,

j’ai une telle habitude de compter pour rien

le tems présent et la Postérité pour tout que

je me suis peu occupé, peut-être trop peu

de ce qui s’est passé. La France n’attend pas

pour s’enthousiasmer d’un nom qu’il soit

inscrit à l’Institut. Mes ouvrages ne sont pas

plus mauvais aujourd’hui et lorsque j’aurai

été élu, je doute qu’ils en deviennent beau-

coup meilleurs. – Je ne me presse jamais

en rien, je n’ai voulu employer aucun des

moyens d’intrigue qui altèrent la loyauté de

tant d’élections et je ne veux entrer là qu’ap-

pelé par les voix sérieuses des hommes les

plus justement célèbres ; voix qui ne m’ont

pas quitté, à chaque tour de scrutin ».

Enfin, faisant allusion à

La Maison du Berger

dont il vient d’achever la première version,

Vigny ajoute : « Je viens d’écrire encore

un nouveau Poëme et je l’ai mis dans une

cellule du même couvent où sont les autres,

jusqu’au jour où tous mes moines sortiront

en procession »...

Correspondance

, t. 4, p. 637 (n° 42-87).

L’Académie française au fil des lettres

, p.

201-203.