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les collections aristophil

1097

PROUST Marcel

(1871-1922).

L.A.S. « Marcel Proust », [12 novembre 1917], à Robert de

FLERS ; 12 pages in-8.

4 000 / 5 000 €

Longue lettre pendant la guerre à propos de Venise, et de l’avan-

cement de son œuvre

.

Il lui a téléphoné en vain au

Figaro

: « je pourrais parler avec toi

des siècles qui depuis trois ans se sont insérés dans ta jeunesse

et dans ma vieillissante maturité ». Pendant « le déluge », il lui avait

écrit « pour te féliciter de tout mon cœur de ton héroïsme et de tes

belles croix ». Mais il en vient à une « chose journalistique » : « Il y

a hélas bien des risques que la pauvre et divine Venise redevienne

momentanément autrichienne. Or je ne sais si tu te souviens qu’avant

la guerre tu m’avais bien gentiment proposé […] de publier au

Figaro

un feuilleton qui serait une partie de mon ouvrage à paraître. Or il se

trouve qu’un épisode douloureux de ce livre (une étude sur l’Oubli)

se passe en partie à Venise et contient des descriptions assez peu

faites jusqu’ici, je crois. Si donc cela était à ta convenance, je referais

immédiatement cette partie et te l’enverrais, soit que tu veuilles la

faire paraître en quelques articles dans le corps du journal, sinon en

tête comme faisait Calmette, soit que tu préfères la forme feuilleton.

Cette dernière m’agréerait mieux en me permettant de me moins

restreindre ». Sinon, il pourrait lui donner un « feuilleton plus “amu-

sant” sur les réceptions de Mme Swann mariée ».

Puis il demande conseil à son ami. « Depuis que mes revenus ont

tant baissé, j’ai la malheureuse idée de prendre certaines habitudes

qui ont décuplé mes dépenses. […] Comme j’ai 5 volumes de 600

pages chacun, inédits, que les Éditions de la Nouvelle Revue Fran-

çaise vont publier (pas avant un an car il me faut bien ce temps-là

avec mes yeux malades, pour finir de corriger mes épreuves), et

comme on prétend qu’ils excitent beaucoup d’impatiente curiosité

(ce que je ne crois pas), n’y a-t-il pas un moyen pratique (la N.R.F.

étant consentante à tout), de gagner un peu d’argent en les publiant

d’abord en journaux et Revues ? Si tu pouvais me donner un conseil

à cet égard ce me serait bien précieux, car je ne connais absolument

rien au côté “affaires” des livres, que comme directeur de journal

tu dois connaître admirablement. J’ajoute que toute une partie est

impubliable d’avance à cause de son indécence, et aussi de la “clef”

qu’on se figurera stupidement. Mais dans le reste il y a de quoi glaner

et si des journaux obscurs ou étrangers paient mieux que les français,

je leur en donnerais volontiers des fragments. Par exemple mon livre

s’est beaucoup lu en Angleterre. Mais si le gain doit être trop faible,

je ne vois pas dans mon état de santé d’utilité à ce déchiquetage.

Car il ne peut que nuire au volume, et en tous cas il lui est inutile,

les lecteurs qui ont aimé le premier volume ayant depuis longtemps

réclamé les suivants. Si au contraire cela te paraît pouvoir matériel-

lement me procurer un gain (le comble de la gentillesse serait que

tu m’en dises l’approximation) appréciable, je le ferais pour avoir la

vie plus facile ».

Il propose enfin de « dîner avec une charmante amie à moi, la

Princesse SOUTZO. Elle est d’ailleurs grecque, mais mariée à un

Roumain qui a été quelque temps attaché ici et est maintenant sur

le front roumain »...

Correspondance

, t. XVI, p. 291.