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156

les collections aristophil

1094

PROUST Marcel

(1871-1922).

2 L.A.S. « Marcel Proust » et « Marcel », [vers le 7 novembre

1913], à Robert de FLERS ; 4 pages in-8 chaque.

8 000 / 10 000 €

Importante lettre donnant le plan d’

À la Recherche du Temps

perdu

, et une autre sur le lancement de son livre

.

[

Du côté de chez Swann

va paraître le 14 novembre chez Bernard

Grasset.]

[Vers le 7 novembre]

. Son éditeur Bernard GRASSET « voudrait qu’on

annonçât dans un écho du

Figaro

la prochaine apparition de mon

livre. Comme M. Hébrard a chargé un de ses rédacteurs de m’inter-

roger et de faire sur moi un “article d’atmosphère” je voulais attendre

cela qui aurait fourni les éléments de la note », mais il craint « que

cela retarde trop car il faudrait que cette note passât d’ici un jour

ou deux. Mon livre paraît le 14 et ceci est une “indiscrétion” littéraire

(langage d’éditeur). L’ouvrage total s’appellera

À la Recherche du

Temps Perdu

le volume qui va paraître (dédié à Calmette) :

Du Côté

de chez Swann

. Le second

Le Côté de Guermantes

, ou peut’être

À

l’Ombre des Jeunes Filles en fleurs

ou peut’être

les Intermittences

du Cœur

. Le troisième :

Le Temps Retrouvé

ou peut’être

l’Adoration

Perpétuelle

. Ce qu’il faut dire c’est que ce ne sont nullement mes

articles du

Figaro

mais un roman à la fois plein de passion et de

méditation et de paysages. Surtout c’est très différent des

Plaisirs et

les jours

et n’est ni “délicat”, ni “fin”. Cependant une partie ressemble

(mais en tellement mieux) à la

Fin de la Jalousie

. Je voudrais que le

long silence que j’ai gardé et qui m’a laissé inconnu quand d’autres

avaient l’occasion de se faire connaître ne fît pas qu’on annonçât

cela comme un livre dénué d’importance. Sans y en attacher autant

que certains écrivains qui s’en exagèrent certainement la valeur, j’y ai

mis toute ma pensée, tout mon cœur, ma vie même. Si en quelques

lignes tu peux annoncer ce livre tu me ferais bien grand plaisir »…

[16 ? novembre]

. « Mon cher petit Robert Ta lettre me fait beaucoup

de peine parce que tu me dis que je t’en ai fait, et elle me fait aussi

à cause de cela beaucoup de plaisir. C’est que malgré tout ce que

tu dis (et tu t’en doutes peut’être) je t’aime énormément ; je t’ai dit

cela parce que je crois que je le devais, et si cela ne t’a pas laissé

indifférent, c’est que tu es resté bon. Seulement je t’en prie ne fais pas

d’article sur moi, cela enlèverait à ma lettre, à ta réponse, à tout ce

que nous nous sommes dit, tout leur prix. Ta lettre m’a plus ému que

ne pourrait faire ton article. Ce qui me fera plaisir, c’est si plus tard

tu as le temps que tu lises la partie de mon livre sur la jalousie [

Un

amour de Swann

], je crois que tu en seras touché. Si jamais (dans très

longtemps) tu as à rendre compte d’une pièce où il y ait une situation

analogue, si tu veux citer mon livre (si tu l’as aimé) fais-le, dans une

simple parenthèse, mais pas d’article je t’en prie sincèrement. J’ai

eu l’écho que mon éditeur réclamait et c’est tout ce qu’il me fallait.

Je suis très malheureux en ce moment mon petit Robert et je ne sais

si j’aurai même le courage de recopier les deux derniers volumes

qui sont cependant tout faits. Et pendant ce temps-là, pendant que

comme un fou je loue une propriété pour quitter Paris, puis reste

ici, puis veux partir (mais je crois que je vais partir pour toujours), il

faut m’occuper de ce livre, on veut le présenter au Prix Goncourt.

Mon éditeur n’avait consenti à le faire paraître avant que je parte

qu’à condition qu’il fût annoncé avant le flot des livres d’étrennes.

Et je lui avais promis cet écho. Mais tu comprends comme cela

me gênait de le demander à CALMETTE, lui ayant dédié le livre et

l’article du

Temps

ayant ôté tout ce que j’y avais ajouté de gentil à

la dédicace. Je comprends qu’avec tous les grands intérêts que tu

as entre les mains toutes ces vétilles ne puissent t’arrêter. […] Mais je

sens obscurément que quelqu’un qui t’aime vraiment ne peut rien

faire de plus gentil que de maintenir en toi la source des souvenirs

juvéniles, et des émotions désintéressées »...

Correspondance

, t. XII, p. 298 et 325.