164
les collections aristophil
1100
PROUST Marcel
(1871-1922).
3 L.A.S. « Marcel Proust », « 44 rue
Hamelin » [février 1920], à Robert de
FLERS ; 1, 4 et 4 pages in-8.
4 000 / 5 000 €
Trois lettres au sujet d’articles dans
Le
Figaro
sur son œuvre
.
[Début février]
. Il le prie de lui consacrer une
partie de la rubrique « À travers les Revues » :
« je te demanderai la même chose le mois
prochain et puis ce sera fini jusqu’à ma mort.
Le plus simple (mais ne me le fais pas faire
inutilement, si cela ne doit pas paraître)
serait que je rédige moi-même (sans que
le journal, naturellement dise que c’est moi
qui l’ai rédigé) ce fragment ». Il se plaint que
« depuis la mort de Calmette on n’y parle
jamais de moi qu’en caractères infinitésimaux
et illisibles »... Il lui envoie un numéro de
L’Action française
« afin de te montrer qu’un
adversaire politique qu’on voit tous les vingt
ans, prend plus à cœur de me venger et en
pleine période électorale, d’attaques idiotes,
qu’un ami tendrement aimé comme toi. Cet
article de Léon DAUDET est à la place où il
y a généralement : “Mort aux Juifs”. J’ai eu
une grande joie dernièrement. Des membres
de l’Académie française avec qui je suis en
contact sans avoir d’ailleurs de vues pour moi
de ce côté, m’ont assuré que ton élection
en Juin était
certaine
. Quel bonheur ! »…
[22 février]
. « Mon cher petit Robert Je ne
peux pas te dire quelle joie, en lisant ton
article de ce matin, de voir tout d’un coup
ton beau regard bleu qui se tournait vers
moi, ta main tendue. Ce que tu dis de moi
est magnifique, et beaucoup trop magnifique ;
je ne mérite pas un tel éloge. Mais je fais
la part de l’amitié heureuse de s’aveugler,
et ma joie en est non pas diminuée mais
accrue. Je n’ai pas pu aller voir le
Conte
d’Hiver
[au Vieux-Colombier], pas plus que
rien, et je me réjouissais d’avoir grâce à
toi ce spectacle dans un lit à défaut d’un
fauteuil. Mais je ne m’attendais pas à ce
qu’on parlât de moi, comme lorsque GIDE
fera sa conférence […] J’aime beaucoup les
gens de la N
lle
Revue française mais nous
avons peu d’idées en commun. Même les
louanges qu’ils me donnent, fort exagérées,
ne me semblent pas tout à fait celles que je
mérite peut’être) »…
[23 février]
. « Lettre à lire jusqu’au bout de la
huitième page ! » Il est allé au Figaro pour
voir Robert, en vain : « Je voulais te dire
de vive voix la drôlerie délicieuse que j’ai
trouvée dans ta manière de raconter la pièce
de Shakespeare. […] Des crises de fou rire
interrompaient ma crise d’asthme quand je
lisais que c’est par “snobisme” que le Prince
de Bohême a fait passer la bergère pour une
P
cesse
» ; et il cite d’autres passages. C’est « de
la meilleure veine du
Roi
et du
Bois Sacré
. Ne
crois pas – quelque supériorité que je sache
reconnaître à tes dons littéraires – que pour
ce qui est de l’élément comique je veuille
dans ces pièces ravissantes te l’attribuer à
toi seul. Ce n’est pas parce que Gaston [de
CAILLAVET, mort en 1915] n’est plus, que je
le mets moins haut. Bien au contraire, je
serais tenté de chercher à compenser, par
une admiration partiale, son injuste destin.
Mais hélas même le comique bouffon je
vois qu’il est aussi dans tes articles, où il ne
collabore pas. Et cela me fait presque du
chagrin de devoir le déposséder ainsi de
ce que je croyais sa part à lui ; mais je me
console vite parce que je sais que drôle il
savait l’être aussi, infiniment. Et dans mon
tendre souvenir pour lui comme dans ma
tendre affection pour toi je me dis de vos
grands succès : “Chacun en a sa part et tous
l’ont tout entier” comme l’a dit Hugo, tu le
sais, de l’amour maternel. Il le dit même
très mal puisque cela signifie que chacun l’a
tout entier. Mais laisse-moi appliquer cela
à l’amitié fraternelle, et te redire encore ma
reconnaissance émue »…
Correspondance
, t. XIX, p. 110, 133 et 135.