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165

ACADÉMIE FRANÇAISE

1101

PROUST Marcel

(1871-1922).

2 L.A.S. « Marcel Proust », [juin-

septembre 1920], à Robert de FLERS ;

7 pages et demie in-8 (1

er

feuillet fendu

au pli et réparé au papier gommé), et

1 page in-8.

4 000 / 5 000 €

Belle lettre de félicitations à Robert de Flers

qui vient d’être élu le 3 juin à l’Académie

française

.

[4 juin]

. « Tu devines ma joie, comme je devi-

nais ton élection éclatante. Maintenant que

tu es élu, je te raconterai peut’être sous le

sceau du secret, des choses qui t’amuseront

(mais ne dis même à qui que ce soit que je

t’en raconterai peut’être). Aujourd’hui je pense

à tes chers grands parents, à tes parents, à

Monsieur Sardou, à Madame de Flers »...

Puis il évoque un incident avec Jacques

POREL (le fils de Réjane) : « Je ne pense

pas qu’il m’en ait voulu particulièrement.

Mais il y a évidemment une affinité élective

entre les actions gentilles qu’on peut faire

pour quelqu’un et le désir de ce quelqu’un

de ne plus vous voir. Cela me pousserait à

être toujours gentil par amour de l’isolement.

Mais même sans cela j’aime être gentil. Si

j’aimais recevoir des visites, évidemment les

“crasses” à faire s’imposeraient à moi, mais je

crois que je ne saurais pas... Je serai candidat

à l’Académie (n’en parle pas) quand un de

tes confrères mourra. Malheureusement je

ne pourrai pas te demander ta voix car tu ne

seras sans doute pas encore reçu. Du reste

il est probable que la mort la plus prochaine

sera la mienne et non celle d’un académicien.

En attendant Reynaldo [HAHN] s’est mis en

tête de me faire décorer pour le 14 Juillet ce

qui me semble bien formidable ». Puis il dit

qu’il a rencontré chez des amis « une dame

brune en robe rose. Son nom (Grancey) ne

m’aurait pas autrement frappé si je n’avais

appris qu’elle était née de Flers ! Coïncidence

qui eût frappé les Goncourt, le lendemain les

Valentinois voulaient m’inviter à dîner avec

une dame également née Flers ! Hélas les

dîners ne me sont pas possibles, ni les levers,

ni ce qui pis est, travailler »… Il veut encore

remercier Robert de l’avoir « recommandé

pour le Prix Goncourt. Le comique a été que

nous avons, toi et moi, choisi d’un commun

accord pour me recommander à eux les

académiciens qui étaient résolus (mais je n’en

savais rien) à voter contre moi. Tandis que

ceux à qui je ne me faisais pas recommander

brûlaient pour moi de plus beau feu ». Et il

revient sur l’affaire Porel qui lui a « avoué que

sa mère n’avait pas reçu de papier timbré.

Mais il met son “exagération” (mot de M.

de La Rochefoucauld pour la mort : “On

exagère”) sur le compte de sa mère. Pour

moi je meurs de honte (malheureusement

je ne meurs pas que de cela, sans cela je

serais assuré de vivre) de t’avoir rapporté

sur Porel un mensonge que je croyais vrai.

Je garde un reste de force pour te redire

ma joie, ma participation à la joie des tiens,

et ma volonté sans espérance, d’essayer de

vivre (si ce que je mène peut se nommer

vie) jusqu’à ton discours de réception qui

sera si joli ! »…

L’Académie française au fil des lettres

,

p. 270-273.

[27 septembre]

.

Proust vient d’être nommé

chevalier de la Légion d’honneur

. Il vient

de voir « dans les

Débats

que je suis décoré.

Malheureusement je le suis au milieu de

gens sans grande valeur littéraire. Te serait-il

possible par une petite note de me mettre

un peu à part avec quelques vrais écrivains

comme Madame de Noailles ou M. Fabre (je

ne sais pas bien qui est décoré, car je souffre

d’une otite et n’ai qu’entrevu le journal qui

m’a été ôté) ». Et il remercie Robert de Flers

de son influence pour cette nomination :

« Je ne peux pas te dire combien cela me

touche et je te remercie du fond du cœur.

Ma reconnaissance égale ma tendresse ce

qui n’est pas peu dire »…

Correspondance

, t. XIX, p. 286 et 486.