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Littérature
anglaise ; Tolstoï juge sévèrement dans
son Journal (5 octobre) cette « traduction
détestable […] cela m’a chagriné ». Dans une
lettre du 30 septembre/12 octobre, il charge
son traducteur Halpérine-Kaminsky de faire
insérer dans le
Journal des débats
et
le
Figaro
ce rectificatif : « La traduction de mon
article
Le Non-agir
publié dans la
Revue
des Revues
du 1
er
octobre a été faite à mon
insu et est tellement défectueuse que je n’en
accepte pas la responsabilité ».
Tolstoï dut rentrer en possession du manuscrit
français, et le revoir attentivement, avant de le
renvoyer en mars 1895 à Halpérine-Kaminsky.
La nouvelle version de
Zola et Dumas. “Le
non-agir”
parut dans la revue
Cosmopolis
de
mars 1896 (p. 761-774), avec cette note de la
rédaction : « A la suite du discours prononcé
par M. E. Zola à l’
Association générale des
étudiants
(mai 1893) et d’une lettre de M.
Alexandre Dumas, parue le 1
er
juin de cette
même année, sur l’esprit de la Jeunesse
des Écoles, M. L. Tolstoï écrivit en russe
une réponse intitulée :
le Non-Agir
. Cet écrit
fut analysé et complètement défiguré par la
presse française, au point que M. L. Tolstoï
dut faire démentir par son éminent traducteur
français, M. Halpérine-Kaminsky, le sens que
l’on donnait à ses paroles. Depuis, M. Léon
Tolstoï
lui-même
a récrit complètement sa
réponse
en français
. C’est cette réponse,
notablement différente du premier texte russe
et inédite
, que nous sommes heureux de
pouvoir donner à nos lecteurs ».
Le texte en fut repris peu après dans un
volume de textes de Tolstoï préparé par
Halpérine-Kaminsky :
Zola, Dumas,
Maupassant
(Léon Challaye, 1896, p. 47-91).
Dans son Avant-propos, Halpérine-Kaminsky
rappelle les circonstances d’écriture du
Non-
agir
, et insère dans le volume les textes de
Zola et de Dumas fils qui ont fait réagir Tolstoï,
et il précise : « l’article sur Zola et Dumas
(
le Non-agir
) m’a été envoyé par Tolstoï
expressément pour l’édition française, écrit
en français avec de notables changements
sur le texte russe paru précédemment. Je
le donne tel quel ».
Le manuscrit est écrit par le traducteur
au recto de 41 feuillets de papier ligné,
numérotés 1 à 18 et 1 à 23, à l’encre bleue
puis noire, avec une pagination ajoutée au
crayon bleu au moment de l’impression
de 8 à 48.
Au verso du dernier feuillet, L.A.S. de Tolstoï :
« Mon cher Monsieur Villot si par hasard
l’article arrivait trop tard pour le N° de
Septembre, ayez la bonté de m’en envoyer
une copie pour que je puisse y faire quelques
corrections pour le N° suivant. Tout à vous L.
Tolstoy » En marge, une note au crayon, datée
16/23/VIII/93, indique qu’il a été répondu
à Tolstoï, et précise de « ne pas faire de
coupures. C’est le désir absolu du C
te
».
L’enveloppe d’envoi à Halpérine-Kaminsky à
Paris porte les cachets de départ de Moscou
du 5 mars 1895, et d’arrivée à Paris le 22 mars.
Le manuscrit a servi pour l’impression, et
porte des marques des typographes. Il
présente de
nombreuses corrections et
additions autographes
(plus de 40) de la
main de Tolstoï à l’encre bleu nuit, allant d’un
mot à une ou deux lignes, soit plus de 130
mots. Si quelques rares corrections à l’encre
noire semblent faites par Halpérine-Kaminsky,
une autre main a porté de nombreuses
corrections à l’encre violette, probablement
le rédacteur de
Cosmopolis
, pour améliorer
des tournures de phrases, rectifier la syntaxe,
trouver un mot plus juste, récrivant certains
phrases, etc., pour mettre au point le texte
de
Cosmopolis
(les divisions du texte en
chiffres romains ont été ajoutées) ; on notera
cependant que le nom de Loodzi est resté
sur le manuscrit, et qu’il sera rectifié en Lao-
Tseu dans la revue.
Parmi les corrections de Tolstoï, notons
cette phrase ajoutée (p. 3) : « Si les hommes
suivaient la loi du tao ils seraient heureux » ;
p. 4, après « tous les militaires », il ajoute :
« tous les geoliers, tous les bourreaux »… Etc.
Vers la fin, deux passages ont été biffés par
Tolstoï et ne figurent pas dans la publication.
À la fin du manuscrit, Tolstoï a signé « Léon
Tosltoy » et inscrit la date « 9 Août 1893 ».
Au début de son texte, Tolstoï souligne
que les textes de Zola et Dumas présentent
« l’expression des deux forces fondamentales
qui composent la résultante suivant laquelle
se meut l’humanité ; l’une, la force de la
routine, qui tâche de retenir l’humanité dans
la voie qu’elle suit ; l’autre, celle de la raison
et de l’amour, qui la pousse vers la lumière ».
Et il se réfère à LAO-TSEU et sa doctrine
du tao, qui « ne peut être atteint que par le
non-agir
». Tolstoï critique sévèrement Zola
et sa foi dans le travail et dans la science.
Puis il en vient à la lettre de Dumas, qu’il juge
prophétique : « 1° comme toute prophétie,
elle est tout à fait contraire à la disposition
générale des hommes au milieu desquels
elle se fait entendre ; 2° cependant tous ceux
qui l’entendent ressentent sa vérité, et 3°
surtout, elle pousse les hommes à réaliser ce
qu’elle prophétise ». Et Tolstoï prêche l’idéal
chrétien que devrait adopter l’humanité… Et
il conclut : « la conception de la vie païenne
et égoïste remplacée par la conception
chrétienne, l’amour du prochain deviendrait
plus naturel que ne le sont à présent la lutte
et l’égoïsme. Et une fois l’amour du prochain
devenu naturel à l’homme, les nouvelles
conditions de la vie chrétienne se formeraient
spontanément, tout comme, dans un liquide
saturé de sel, les cristaux se forment dès
qu’on cesse de le remuer. Et pour que cela
se produise et que les hommes s’organisent
conformément à leur conscience, il ne leur
faut aucun effort positif ; ils n’ont au contraire
qu’à s’arrêter dans les efforts qu’ils font. Si les
hommes employaient seulement la centième
partie de l’énergie qu’ils dépensent dans
leurs occupations matérielles, contraires à
toute leur conscience, à éclairer autant que
possible les données de cette conscience, à
les exprimer aussi clairement que possible,
à les populariser et surtout à les pratiquer
beaucoup plus tôt et plus facilement que
nous ne le pensons s’accomplirait au milieu
de nous ce changement que prédit M.
Dumas, et qu’ont prédit tous les prophètes,
et les hommes acquerraient le bien que leur
promettait Jésus par sa bonne nouvelle :
“Recherchez le royaume des cieux et tout
le reste vous sera accordé par surcroît”. »