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52.

Jacques CHARDONNE

(1884-1968). 31 L.A.S. (de son vrai nom « Jacques Boutelleau » ou des initiales « JB » ou

« B », 2 non signées), 1914-1965, à Maurice Delamain ; 80 pages in-fol. ou in-4, 2 en-têtes

Delamain Boutelleau

& C

ie

, éditeurs

ou

Librairie Stock. Delamain et Boutelleau

, une enveloppe, qqs cachets

Kriegsgefangenenlager

(quelques bords un peu effrangés).

2 000/2 500

Importante et intéressante correspondance littéraire et politique, depuis la Première Guerre mondiale jusqu’après

l’Occupation, à son ami et associé dans la librairie Stock. Nous ne pouvons en donner ainsi qu’un rapide aperçu.

Paris 9 juillet 1914

. Envoi d’un questionnaire sur l’écrivain et l’évolution de la langue, également soumis à Loti, Prévost

et Curel, pour un

Almanach des lettres

28 janvier 1915

. Envoi d’un fragment de

Tranchées

de Fauconnier : « Comme ce

sont des impressions toutes

personnelles

, je pense qu’on ne trouvera pas d’inconvénient à ce récit de soldat. […] Fauconnier

a souffert toutes sortes de maux, mais est encore en vie, et toujours dans ses tranchées »…

Chardonne-sur-Vevey (Vaud)

3 septembre

1916

. « Je pense rester à

Chardonne

jusqu’au mois de janvier »…

10 décembre

. Critique de Karl Marx, citation

d’un personnage de François de Curel, à propos des bienfaits du capitalisme, et jugement sur « la rêverie contradictoire » et « les

songes » de Romain Rolland…

15 décembre

. Réflexions sur les moralistes. « Schopenhauer m’a renversé par sa puérilité. Je

crois que ce sont les “classifications” qui perdent les penseurs. […] “Le bien” n’existe pas. Les satisfactions que nous croyons

éprouver après une action vertueuse tiennent à d’autres causes qu’on pourrait discerner (par exemple, à haute dose, un amour-

propre de première qualité). Un psychologue, sans faiblesses, reconnaîtrait sous tous ses actes de vertus un motif qui ne dépend

pas d’un bien en soi. “Le bien” est une manière d’être et de vivre qui plaît aux âmes délicates. L’homme de bien est un raffiné.

Les obligations morales ressemblent aux entraves et aux règles que l’artiste s’impose pour la joie de son art »…

24 décembre

.

Sur les négociations entamées avec la « société littéraire », concernant la librairie. « Je me tiens ferme sur notre prix : 30 000 fr.

pour le fonds d’édition. L’affaire sera magnifique pour nous ou ne sera pas »…

5 janvier

1917

, au sujet de Romain Rolland :

« Le mal que Romain combat n’est pas grave : il loge dans de petites têtes et n’a pas de lendemain. Celui qu’il cause est profond.

Le salon de G. Trarieux et Estaunié, où se ramifie tout ce qui est un peu piqué dans les hautes têtes d’un continent, mijote avec

les plus beaux sentiments et sur les fumées d’un idéalisme inconséquent, une vilaine cuisine. Romain est l’idole de ce cénacle.

Et une idole agissante. Je crois qu’il y a là un danger que Marat n’eût pas toléré »…

4 avril

1918

. « Petite dissertation sur

le Progrès

» : progrès de la science, progrès intellectuel, progrès social, progrès moral

(celui-là « importe », mais « c’est le plus douteux »). En conclusion : le progrès n’est pas niable, mais il « tend à une sorte

d’anéantissement de l’homme », et « le progrès scientifique et social et matériel, est beaucoup plus rapide que le progrès moral, à

peine sensible s’il existe. On peut craindre des conflits douloureux »…

5 avril

. Démarches pour faire rapatrier Delamain... « Mais

je crois que c’est vers la conférence qui se tient à Berne depuis huit jours qu’il faut tourner les yeux. L’objet de la conférence

est le rapatriement en grand des prisonniers de 1914 »…

15 avril

. Éreintage du

Buisson ardent

, 3

e

partie de

Jean-Christophe

de Romain Rolland. « Ma principale objection contre

J. Christophe

, c’est que l’œuvre est truquée »… On y voit le personnage

éponyme en état de crise, puis subitement, ayant regagné le goût de la vie. « La “poésie” lui souffle un tourbillon d’idées sans

liens, sans conséquences, sans le moindre sens, il en est enivré. Il y a, un instant, il était prostré dans le dégout. Maintenant, il a

recommencé ses gambades, il entend comme “le chant de vie qui revenait en lui” »… Pareille « frénésie de paroles incolores »

peut arriver à 13 ans, non à un homme mûr. « Toute cette fin de volume, si importante, est traitée dans le plus bas romantisme.

C’est du chiqué. Et du mauvais chiqué »…

15 avril

. Commentaire du « livre magnifique » de B. [

Le Feu

de Barbusse] : « Ses

défauts l’ont servi. J’entends cette perpétuelle outrance de style et cette vue grossissante. L’objet était si extraordinaire et si

noir qu’il permettait un empâtement de couleur. Le tragique lui-même est nuancé »…

24 avril

. Sur les chances d’une prochaine

libération de Delamain : « la commission de Constance ne peut guère s’opposer dans le cas de “psychoses” », l’indulgence

est recommandée et l’avis médical se fera essentiellement sur dossier. « D’ailleurs, on a naturellement, dans cette cérémonie

émouvante, l’air abattu et hagard qui convient »…

26 avril

. C’est chez les spiritualistes qu’on trouve la réalité des choses,

démontrée par Kant, Schopenhauer, Nietzche, Bergson. « La critique de la raison, l’impuissance de l’entendement à pénétrer les

choses en soi, la fiction de ce que nous appelons le monde, ont fait l’objet de démonstrations trop éclatantes, pour qu’on puisse

jamais y revenir. Est-ce qu’il y a une réalité derrière ces apparences ? Sans doute. Mais elle est pour nous comme n’existant pas

puisque nous ne pouvons en avoir l’idée »… Il développe sa pensée, avec allusion à la théorie de l’évolution, au surhomme de

Nietzche, à la religion chrétienne, puis commente

L’Essence du christianisme

de Harnack, et des remarques de Renan sur le

langage, fruit spontané du génie de chaque race…

2 mai

. Longue réponse à une lettre sur la science et la philosophie, insistant

sur la certitude de bouleversements futurs de théories qui reposent sur des interprétations de l’expérience, telles que la théorie

évolutionniste. « Ce n’est pas là une objection contre la science, bien au contraire. C’est une objection contre la stabilité de tout

système reposant sur des bases si fuyantes. [...] Archimède ne s’est pas trompé, mais combien d’autres ont cru trouver, et se

perdaient. Aucune erreur ne se fonde

indéfiniment

, mais elle se fonde assez pour berner une ou deux générations. Qu’on lise

la correspondance de Voltaire, si fier de sa science »… Mais il parle non des sciences, mais de la philosophie (Kant, Nietzche,

Bergson), et il reconnaît éprouver de l’antipathie pour « cette assurance, cette sécurité, cette audace du savant, en comparaison

avec l’exiguïté des résultats. Plus le savant se spécialise, plus ses résultats sont positifs et sûrs, plus la science va se pulvérisant.

Durkheim a prétendu apporter dans une région délimitée des résultats précis. Je pense que son livre sur le suicide lui a coûté

beaucoup de travail et d’années : le résultat est une poussière stérile »… Il est encore question de Darwin, Renan, Spencer...

2 mai

. Clauses principales de l’accord sur l’échange ou le rapatriement des prisonniers de guerre. « Ton cas d’internement est

le meilleur qui soit »…

Royan 15 mars [1919 ?]

. «

Don Quichotte

m’enchante comme toi. Tu me donnes le goût de lire la

Chartreuse

. Je dis à

Mollat de t’envoyer

Le Temple enseveli

de Maeterlinck […]. C’est un des livres les plus riches de ce temps. Le poète, souvent

médiocre, a trop caché un moraliste inouï, en tous cas méconnu »…

Bordeaux 13 avril

. La lecture du contrat soulève une

question concernant la créance de Thiébaut…