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de Music-Hall, avec Rastelli, Coléano, les Codona. Il

vous a jadis arrachés de l’habitude. Ensuite vous avez

eu l’habitude de l’applaudir. Ensuite celle de l’oublier et

de trouver juste qu’il s’éloigne ». Quant à Polaire, qui

a tenté de se suicider : « Je ferme les yeux et je chasse

l’habitude. Je redeviens un gosse. Au Palais de Glace,

couronné d’un diadème de diamants bleu pâle, on nous

emmenait à cinq heures, l’heure où les femmes célèbres

arrivent pourchassés par Sem, insecte impitoyable.

Voici Polaire, reine du lieu, à cause de son nom glacial

et des chroniques de Willy et de Colette. […] J’ouvre

les yeux. Le journal traîne sur la table et annonce cette

tentative de suicide. C’est, je le répète, l’habitude que

la mode chasse la mode et que les anciennes insolences

deviennent humbles et ne puisse supporter le cortège

qui les écrase. Au théâtre, nous bouleversions toutes

les habitudes avec les Ballets Russes et Suédois,

Les

Mariés de la tour Eiffel

,

Antigone

,

Orphée

,

Roméo et

Juliette

,

La Machine infernale

. Puis vint l’habitude.

[…] Et maintenant, si je trouve salubre d’abandonner

la mise en scène et de représenter une pièce nue, les

personnes qui insultaient nos tentatives de feu et de

flamme trouveront “vieux jeu” cette force nouvelle »…

Pour montrer jusqu’où se développe la puissance de

l’habitude, il raconte des expériences sur des souris,

avant de conclure : « Tuez l’habitude. Apprenez à

regarder, à entendre sous un angle neuf. Ne vous laissez

pas perdre par ce sommeil, n’acceptez pas d’avance

cette énorme gomme Éléphant qui efface tout et vous

empêche de vivre. »

63.

Jean COCTEAU

. L.A.S. « Jean », Noël 1940, [à Albert Willemetz] ; 4 pages et quart in-4.

500/600

Longue et intéressante lettre confidentielle relative à la distribution de

L

a

M

achine

à

écrire

, au futur dédicataire

de la pièce. [

La Machine à écrire

fut créée au Théâtre Hébertot le 29 avril 1941, par Gabrielle Dorziat (Solange), Jean Marais

(double rôle de Pascal et Maxime), Jacques Baumer, Louis Salou et Michèle Alfa.]

Il veut plaider « la cause de Dorziat qu’il faudrait inventer pour ce rôle si elle n’existait pas », car il est contre Yvonne [de

Bray] qu’il admire pourtant davantage… « 1° Pendant qu’Yvonne descendait, se dégoûtait, se faisait plaindre et oublier du

public, Dorziat, mauvaise coquette de l’époque Bataille, montait et devenait à cause de Bernstein, de Giraudoux et de moi une

grande comédienne que le public adore et que le cinéma rend populaire. 2° Ma pièce est très écrite – dans le sens que vous

aimez – le sens “Sphinx”. Or Yvonne à l’école Bataille s’est faite au barbouillage du texte. Elle en invente la moitié et ajoute

des “Na” et des “Ho” et des “Ben” qui m’étaient indifférents dans les

Monstres

[

sacrés

] mais qui enlèveraient à la

Machine

sa

ligne inflexible. 3° Jean Marais dont l’instinct est sûr et qui rêve de jouer avec Yvonne, estime que dans ce rôle elle rendrait

tout suspect, vicieux etc... genre “Venin” – qu’on nous reprocherait d’être “pourris” alors que l’ensemble doit être du feu et

alors que Dorziat aurait, elle, la dignité, l’élégance, la tenue parfaite d’une femme qui a la pudeur du couchage. 4° Yvonne fait

femme plus jeune, flétrie, avachie par les désordres. Dorziat fait femme plus vieille qui est restée jeune, mince, droite, fraîche,

par discipline et ordre. Yvonne coupable de lettres anonymes ce serait terrible et laid. Dorziat, fière… etc... terrible et beau.

Pour employer mon jargon que vous entendez si bien et qui vous amuse, je dirai que Dorziat est gruyère à trous et Yvonne

cam[em]bert qui coule. 5° Jouvet n’a pas joué les

Parents

[

terribles

] à cause d’Yvonne. Il n’en voulait pour rien au monde dans

son théâtre »... Enfin il invoque les sautes d’humeur d’Yvonne, sa mauvaise influence, ses trous de mémoire, son indifférence,

ses insultes d’ivrogne et ses hurlements en coulisse... Il déplore que la salle du Palais-Royal se perde, et imagine des matinées

de lecture de classiques : « de l’ancienne Athénée à Jouvet il y avait aussi loin et notre époque permet tous les coups d’État »...

Il ajoute que Willemetz avait raison « pour la fin

inévitable

[…] et pour le départ de Margot. Je crois avoir trouvé une chose

très jolie – Margot et Maxime recommençant à se disputer devant Solange et Fred – ils pensent dans leur tempête. Merci ».

64.

Jean COCTEAU

. L.A.S., Saint-Jean-Cap-Ferrat 17 mars 1952, à René Bertrand ; 1 page in-4.

150/200

Sur

J

ournal d

un

inconnu

, au futur dédicataire du livre, René Bertrand, dont il préfacera

Sagesse et Chimères

(Grasset,

1953). « Le livre avance et s’adresse souvent à vous, en personne. J’en suis au chapitre “

De l’innocence criminelle

” qui se

présentera sous forme d’une histoire-exemple assez curieuse. J’ai terminé le chapitre “

De la mémoire

”. Le difficile est de garder

le style de “

métaphysique amusante

” d’un Tom-Tit de l’invisible. Je m’efforce de ne m’embarquer jamais sur une mer qui ne

m’appartient pas et d’éviter les vocables de la science. De conserver à mon étude un certain air enfantin. Racontez-moi où vous

en êtes et si vous avez pris contact avec Grasset. Il me tarde que vos enfants paraissent sous un costume digne d’eux. [...] Nos

pages doivent s’accumuler selon un rythme analogue »...