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nous avons fait une promenade en ville et sur la

rade, puis, en contournant d’immenses falaises, on

atteint la plage, somme toute assez éloignée de la

ville ; hommes et femmes se baignent chacun de

leur côté, à une assez grande distance les uns des

autres. Ce ne sont pas de ces plages

où l’on flâne

 ;

on arrive, on se flanque à l’eau et l’on s’en va. Les

Anglais manquent d’entrain. Mais que c’est joli, ici,

que c’est bien tenu, et quelle formidable végétation !

Partout des fleurs, de grands arbres, de vastes pelouses

d’un vert délicieux et des villas si coquettes, si

proprettes, si pimpantes ! – Mais, hélas ! c’est bien loin

de Paris, et que d’argent pour vous trimballer tous ! »…

La Membrolle 30 mai

1890

. « Mais oui, ma mie,

mais oui, mon petit loup-garou, certainement qu’il

faut sortir avec tes cousins, – ça te changera et ils te

distrairont certainement. Mais alors, tu déjeunerais chez

les Soubies ?

Si tu n’es pas invité

par eux directement

ou

de leur part

, je préfère que tu n’y déjeunes pas ; ce

sont des gens à principes, – de grandissime famille

probablement et chez lesquels je ne voudrais pas que tu

t’imposasses. Je leur envoie ce subjonctif en attendant

mieux »... Recommandations pour prendre le bus : « Ne monte pas en l’air, ma mie. Mets-toi dedans, en face ou à côté d’une charmante

femme et vis à vis de laquelle je ne crois pas avoir besoin de te recommander d’observer les plus élémentaires convenances »... Chez

les Soubies, « sois chic ; n’oublie pas que tu es dans un monde excessivement aristocratique ; que l’on s’aperçoive que, dans les plus

humbles chaumières, même, on peut enseigner à ses enfants à se tenir droit, à être modeste, poli, et à pratiquer les plus hautes vertus »…

26 juin

 : « Ah ! tu m’en uses deces souliers ! Si tu ne marchais pas dans tous les cailloux que tu rencontres sur la voie publique, tu

n’esquinterais pas le cuir de tes chaussures, un cuir de première qualité, le roi des cuirs et le

cuir des Rois

. Tu verrais un rasoir sur le

chemin, aussitôt tu t’empresserais d’aller le râtisser avec l’empeigne de ta bottine, c’est assommant. […] C’est ton père qui te baladera

dimanche. Nous irons le matin voir la Nanine, nous mangerons une croûte quelque part et nous terminerons la journée à Suresnes chez

les Verdhurt qui nous attendent. […] Je connais l’Anglaise que tu as rencontrée sur l’impériale du tramway : c’est la reine d’Angleterre ;

souvent elle voyage ainsi incognito ; comme elle est d’une grande famille, elle a le pied très fin et cela n’a pas échappé à un observateur

de ta trempe ; mais il n’y a pas que la reine d’Angleterre sur les impériales d’omnibus, et je te prie de ne pas causer avec les gens que

tu ne connais pas »…

[La Membrolle, début juillet

1891

(?)]

. « Travaille, mon pauvre enfant, tâche d’entrer ça dans ta caboche ; comment n’arriverais-tu pas

à passer, comme une masse de tes camarades qui s’en sortiront, sans avoir pour cela inventé la poudre ! Donne tout ce que tu pourras,

facilite-moi la besogne et prends de l’aplomb ; sois viril ; les gens qui sont en face de toi n’ont pas l’intention de t’avaler ; mais rien

ne les horripile autant que de voir de grands garçons, presque des hommes,

se troubler pour parler

. […] Il ne faut pas qu’un

homme

soit timide

, c’est de la faiblesse d’intelligence, du manque de force ; […] je ne peux pas éternellement traîner un

muet

dans la vie. […]

Pioche un peu plus, ça ne te tuera pas ! » –

Samedi [5 ? septembre]

. « Bravo, mon petit Marcel, travaille ferme, et le but est tout près. […]

fais davantage encore, tu n’en sauras jamais trop. […] Enfin, j’irai de suite voir mon Marcel quand je vais venir pour

Lohengrin

 »… –

9

septembre 

: « bûche comme un pauvre âne, ma mie, pour que tous les tiens soient contents ; ce sera vite passé, va ! Ne perds donc pas un

instant, je t’en prie, mon petit loup. […] il y a des bougres qui ont fait plus fort que ça dans leur vie, flanque toi ça dans le toupet, et qui

n’en sont pas du tout crevés. Ce point-là bien établi et à seule fin de ne pas me laisser croire que tu es malheureux comme une pierre

(te rappelles-tu qu’une baderne et ton père, ça fait deux ?) je suis très heureux de te dire que tu sortiras dimanche »… –

11 septembre

.

« Continue – ce n’est pas

pour moi

que tu travailles, ne le sens-tu pas ? – Ce soir 1

ère

de

Lohengrin

 ; j’ai tellement échangé de dépêches

avec

L

amoureux

que je n’y ai plus rien compris […] et j’ai raté ça, ce qui me contrarie beaucoup pour Lamoureux et pour moi. […] Je n’ai

pas besoin de te dire que ça me fait de la peine de voir que tu es aussi faible en allemand ; – ça te servira 100 fois plus que les autres

affaires, dans la vie — c’est donc idiot »... –

[Vers le 8 décembre]

. « Je suis heureux, très heureux, (ta mère aussi) qu’on te trouve bien ;

– j’ai assez fulminé, dans ma carrière, pour atteindre ce but, c’est déjà qq chose, et je t’embrasse cordialement. […] C’est peut-être par

la douceur et les qualités que j’appellerai de

demi-teintes

(les meilleures souvent pour se tirer d’affaire et même pour être apprécié) que

tu réussiras ; mais le diplôme au grand complet est nécessaire aussi, et ne lâche pas Descartes et Malebranche ! Ces 2 vieilles barbes

veillent sur toi ! »… –

[Décembre ?]

. « Ne m’attends pas ce mois-ci, Paris est imbécile et plein de boue, on n’y pense qu’à manger, ça me

dégoûte »... –

20 décembre

. Recommandations pour le voyage : « Je ne veux pas que tu voyages la nuit. Comme tu n’es pas très couvert,

tu prendras des secondes, c’est moins cher qu’une fluxion de poitrine et encore moins dangereux »... –

21 décembre

. « M. Bideaux te

remettra […] les patards nécessaires pour venir embrasser ta famille et t’en retourner embrasser Descartes, un vilain bougre »... Nouvelles

recommandations pour le voyage en train…

La Membrolle [début janvier

1892

 ?]

. « Ne te préoccupe pas de ton parapluie, je l’ai emporté par mégarde. Nous étions, vraisemblablement,

si troublés l’un et l’autre, en nous séparant, que nous avons perdu la tête. Je m’aperçois néanmoins que j’ai conservé la mienne […] Et

maintenant, remonte dans ta chambre et présente, dès demain, mes meilleures salutations aux nommés

M

alebranche

,

D

escartes

et papa

S

aisset

que j’eus jadis pour indulgent examinateur »… –

[10 avril]

. « Nous te conseillons, ta mère et moi, de venir, ici, passer tes vacances