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107

Littérature

air de notre printemps. Tout va à merveille cette fois et nous sommes heureux. Des hauteurs de la Corniche et de la Turbie, nous avons

vu, durant une journée bien claire, le grand profil de la Corse à l’horizon de la Méditerranée, et le profil plus pâle et plus lointain de la

Sardaigne [Laur y était ingénieur aux mines d’Iglesias]. Nous t’avons envoyé des baisers et des vœux par-dessus l’espace. Nous eussions

été bien tentés de t’aller trouver, mais le temps manquait, nous étions partis un peu tard et nous avions hâte de revenir au nid qui se

remplissait d’un hôte nouveau.

Tu me fais une question à dérouter les 7 sages de la Grèce. La politique n’est pas une science dans laquelle on puisse et doive

s’absorber avec fruit. C’est un art qui prend ses racines dans la philosophie et le socialisme. Si ces racines avaient rencontré le bon sol,

la politique pousserait toute seule, et il ne s’agirait plus que d’écarter les dévorants ou les orages. Mais dans l’état des choses, il me

paraît impossible d’avoir une bonne théorie. L’art de conduire les hommes au vrai est donc un tâtonnement perpétuel, et aucune théorie

ne peut servir infailliblement. À preuve les hésitations et les contradictions apparentes des héros eux-mêmes. Politique proprement

dite, c’est l’examen des faits changeants et multiples, la prévision, habile ou déçue des effets que doivent produire

et que ne produisent

pas toujours

les causes. C’est une série d’inspirations au jour le jour où l’on est cruellement trompé quand on n’est pas surpris par des

résultats inespérés. Chose flottante et illogique comme la vie humaine, et sur laquelle on ne peut établir un plan fixe. Il n’y a qu’une

certitude, la foi au progrès, l’espoir et le désir d’y travailler. Mais on y travaille bien ou mal, selon que l’on est plus ou moins sagace, et

aucune expérience acquise ne peut servir de base certaine à une expérience nouvelle. C’est donc l’inconnu, c’est l’avenir ! Nul ne peut

te prendre par la main et te montrer le sentier. À toi de le discerner à travers les mirages, à toi de te diriger d’heure en heure comme

fait le genre humain. L’important c’est d’avoir le cœur pur et chaud avec la tête saine. – Tu as la religion sociale dans l’âme, – mais qui

te renseignera sur l’application ? Elle se composera toujours de moyens changeants comme les faits, et ondoyants comme les milieux et

les circonstances »...

Correspondance

(éd. Georges Lubin), t. XX, p. 780.

345.

George SAND

. L.A.S., Nohant 26 [pour 22] juillet 1875, [à

C

harles

-E

dmond

, rédacteur au journal

Le Temps

] ; 3 pages

in-8 à son chiffre.

800/1 000

S

ur

les

C

ontes

d

une

grand

-

mère

,

et

sur

T

olstoi

.

Elle lui envoie « 

la fée

Poussière

qui est bien

griffonnée, parce que je

l’ai faite et refaite. Je vais

mettre au net le

Gnôme des

huitres

, et vous le recevrez

incessamment ». [Ces deux

contes paraîtront dans

Le

Temps

les 11 et 25 août.] Elle

voudrait lire le manuscrit de

son ami Charles

R

ollinat

« sur les Poquelin. Je veux

le lire. S’il est mauvais,

sans ressource, je lui dirai

de vous en débarrasser.

S’il y a du bon, je le lui

ferai refaire. Mais il vous a

donné une traduction de M

r

Toltoï [

sic

],

une incursion au

Caucase

, dont

T

ourgueneff

lui a dit en propres termes :

c’est aussi beau que le texte.

En ce cas, c’est d’une réelle

valeur car le Toltoï est bon

et

les deux hussards

que j’ai

lus dans

le Temps

était un

petit chef-d’œuvre. On a dit

à Rollinat, au mois de mars,

que son

Caucase

ne paraitrait que dans six mois. Je trouve cela très dur quand on a de la place,

et

tant de place

 ! pour certains romans

interminables où une situation unique est délayée en un nombre indéfini de feuilletons. J’aime beaucoup personnellement l’auteur du

Beau Solignac

[Jules

C

laretie

] ; il a toujours été charmant pour moi, mais s’il m’eût consultée, je lui aurais dit d’en supprimer les deux

tiers. Le roman-feuilleton ne souffre pas ces développements. Je m’en suis aperçue en lisant

Nanon

dans

le Temps 

; ce qui me plaisait

sur le papier, m’a paru insupportable en chapitres. C’est pour cela que je voudrais vous faire une série de contes ou d’anecdotes tenant

chacun dans un seul feuilleton. Je trouve cela très difficile, pour moi surtout, habituée à barbouiller tant de papier sans compter mes

pages. Mais je veux tâcher d’en venir à bout, au moins pour une demi-douzaine ». Elle ajoute : « Ne prendrez-vous pas de vacances ?

Envoyez donc vos turcs à la promenade et venez nous voir »...

Correspondance

(éd. Georges Lubin), t. XXIV, p. 350.