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Sand renvoie cette page « absurde » et « inconvenante », et ajoute : « Personne ne doit m’écrire ainsi. Critiquez mon costume dans
d’autres idées et d’autres termes si vous avez envie »... Elle pense que Guéroult était gris en écrivant ainsi : «
M
usset
n’aurait pas fait
mieux ». Elle ne se fâche pas pour autant.
Elle ne veut pas « soutenir une controverse sur le saint-simonisme. J’aime ces hommes et j’admire leur premier jet dans le monde. Je
crains qu’ils ne s’amendent trop à notre grossière et cupide raison, non par corruption, mais par lassitude, ou peut-être par une erreur de
direction dans un zèle soutenu. Vous savez que je juge de tout par sympathie. Je sympathise peu avec notre civilisation transplantée en
Orient. J’en aimerais mieux une autre qui n’eût pas surtout L[ouis]-Philippe pour patron et Janin pour coryphée. – C’est peut-être une
mauvaise querelle. Aussi n’y devez-vous pas faire attention, et surtout ne jamais vous effrayer des moments de spleen, ou d’irritation
bilieuse où vous pouvez me trouver. Vous vous trompez si vous croyez que je sois plus agacée maintenant qu’autrefois. Au contraire je
ne sache pas l’avoir été moins. J’ai sous les yeux de grands hommes et de grandes pensées. J’aurais mauvaise grâce à nier la vertu et le
travail. Mes idées sur le reste sont le résultat de mon caractère, et mon sexe avec lequel je m’arrange fort bien sous plus d’un rapport,
me dispense de faire grand effort pour m’amender. Car après tout je serais le plus beau génie du monde que je ne remuerais pas une
paille dans l’univers, et sauf quelques bouffées d’ardeur virile et guerrière, je retombe facilement dans une existence toute poétique,
toute en dehors des doctrines et des systèmes. Si j’étais garçon, je ferais volontiers le coup d’épée par-ci, par-là, et des lettres le reste
du temps. N’étant pas garçon je me passerai de l’épée et garderai la plume, dont je me servirai le plus innocemment du monde. L’habit
que je mettrai pour m’asseoir à mon bureau importe fort peu à l’affaire, et mes amis me respecteront, j’espère, tout aussi bien sous ma
veste que sous ma robe. Je ne sors pas ainsi vêtue sans une canne, ainsi soyez en paix. Il n’y aura pas de grande révolution dans ma vie
pour cette fantaisie de porter un habit de bousingot quelques jours en passant, dans des circonstances données, où j’attache de tendres
superstitions et le secret de certains souvenirs profonds à ce travestissement. Soyez rassuré, je n’ambitionne pas la dignité de l’homme.
Elle me parait trop risible pour être préférée de beaucoup à la servilité de la femme. Mais je prétends posséder aujourd’hui et à jamais
la superbe et entière indépendance dont vous seuls croyez avoir le droit de jouir. Je ne la conseillerai pas à tout le monde, mais je ne
souffrirai pas qu’un amour quelconque y apporte, pour mon compte, la moindre entrave. Sinon point d’amour, à jamais, J’espère faire
mes conditions si rudes et si claires que nul homme ne sera assez hardi ou assez vil pour les accepter. […] Prenez-moi donc pour un
homme ou pour une femme, comme vous voudrez. Duteil dit que je ne suis ni l’un ni l’autre, mais que [je] suis un
être
. Cela implique
tout le bien et tout le mal ad libitum. Quoi qu’il en soit, prenez-moi pour une amie, frère et sœur tout à la fois. Frère pour vous rendre
des services qu’un homme pourrait vous rendre, sœur pour écouter et comprendre les délicatesses de votre cœur. Mais dites à vos amis et
connaissances qu’il est absolument inutile d’avoir envie de m’embrasser pour mes yeux noirs, parce que je n’embrasse pas plus volontiers
sous un costume que sous un autre »... Pour finir, elle avertit qu’on ne changera pas son caractère.
O
n
joint
la réponse a.s. de Guéroult (1 page et demie in-4), s’excusant pour la légèreté de ses paroles.
Correspondance
(éd. Georges Lubin), t. II, p. 878.
343.
George SAND
. L.A.S., [Nohant] 27 septembre 1856, [à Madame
P
rost
] ; 6 pages in-8 à l’encre bleue.
1 000/1 200
T
rès
belle
lettre
sur
son
emploi
du
temps
et
ses
occupations
à
N
ohant
.
George Sand a offert un « meuble de tapisserie » à la mère de son banquier ; elle en raconte l’histoire... « Je passe ma vie à la campagne
de la façon la plus régulière et la plus tranquille. Je ne dîne pas dehors deux fois par an. Je travaille à mon état de
romancier
de 1 h. à 5
– dans le jour, et de minuit à 4. Le reste est pour la famille, et pour un peu de sommeil. Mais en famille, nous sommes tous occupés de
nos pattes, soit qu’on lise ou qu’on cause, rie ou babille, de 9 h. à minuit, chacun dessine, brode ou coud. J’ai les yeux trop fatigués pour
faire des petits ouvrages comme autrefois. Je fais donc de grandes fleurs et de grands feuillages sur du très gros canevas. Mes enfans, c’est
à dire mon fils et un ou deux de ses amis qui sont presque toujours avec nous, m’ont dessiné et colorié largement sur du papier, de jolies
compositions de feuilles et de fleurs d’après nature, que je copie avec mon aiguille, en les interprétant un peu à ma guise. Donc, depuis
trois ans, [...] j’ai bien fait de la tapisserie pendant au moins
deux mille heures
[...] Mais la littérature, et je crois, tout ce qui est dépense
du cerveau, ne permet guères l’absorption de toutes les heures de la journée, et d’ailleurs je ne saurais vivre sans voir une bonne partie
du jour ou du soir ceux que j’aime. Ce serait peut-être un tort ou un mal de faire autrement. Donc, je n’ai pas à me reprocher d’avoir
fait tant de points dans du canevas. Dans le principe, ce meuble était destiné à notre salon de campagne : mais il eut été sali en quinze
jours par les crayons, les cigarettes, les aquarelles, les enfans, les toutous, mangé surtout par le soleil. J’ai songé à le vendre, me disant
que si j’en trouvais quelques milliers de francs (de la part d’un amateur d’
autographes
, car certes il ne vaut pas cela), je me reposerais de
ma littérature pendant quelques mois, ce qui me ferait grand plaisir et grand bien [...] Mais il est arrivé que Monsieur votre fils a bien
voulu s’occuper de me procurer par ce qu’on appelle les affaires, (chose que je n’entends pas et à quoi je répugnerais de recourir s’il me
fallait accepter l’aide de gens que je n’estime pas), un petit bénéfice représentant pour moi un peu de loisir et de promenade dont j’ai
tant besoin. [...] Vous me dites que vous attacherez du prix à ce qui est de moi ; j’ai donc du plaisir à vous l’offrir, et à vous dire que c’est
tellement de moi, qu’il n’y a pas
un seul point
qui ne soit de moi »... Elle ira à Paris, mais : « Je ne sais pas quand je pourrai quitter ma
chaîne, c’est toujours l’histoire des petites économies que je ne peux pas faire [...] Je me plais d’ailleurs beaucoup à la campagne ; mais
quand mon fils passe l’hiver à Paris, je trouve le tems plus long ici »...
Correspondance
(éd. Georges Lubin), t. XXV, p. 937.
Reproduction page 105
344.
George SAND
. L.A.S., Nohant 6 avril 1868, [à Francis
L
aur
] ; 5 pages in-8 à son chiffre.
800/1 000
B
elle
lettre
de
conseils
sur
la
politique
à
son
jeune
protégé
, et sur la naissance de sa petite-fille Gabrielle (11 mars 1868).
« Cher enfant, j’ai été à Cannes, à Monaco, à Menton, etc. avec Maurice. Nous sommes revenus vite, Lina nous donnant une seconde
petite fille, charmante et bien en train de vivre. La petite mère se porte bien. Aurore est superbe.
Gabrielle
, la seconde, hume le doux