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George Sand se montre ici une femme avisée, attentive à la gestion de son patrimoine, notamment de l’hôtel de Narbonne, rue
de La Harpe à Paris, dont Falampin est le gérant ; elle s’inquiète des dépenses et des travaux. Ainsi (11 novembre 1846) : « Les
dépenses me paraissent énormes, et je voudrais bien que vous ne fassiez plus faire de ces
grands
travaux qui augmentent mon
budget, sans augmenter les revenus. […] Vous me direz que la valeur augmente en raison de mes dépenses. Je crois le contraire;
car au printemps dernier, lorsque je vous ai interrogé sur la valeur de cet immeuble, vous m’avez dit
au moins 230 000 f.
Et
maintenant quand nous venons d’y faire pour environ 5 000 f. de dépenses nouvelles, vous terminez votre état de situation par
une évaluation du capital à 200 000 et même 190 000 f. […] Il valait donc mieux laisser les choses dans l’état où elles étaient et
ne pas me
fendre
encore d’une somme, pour une augmentation de revenus dont je ne jouirai pas, ni mes enfants non plus, car
une propriété semblable est une ruine. Vous m’aviez dit, il est vrai, que vous feriez diviser les grands appartements en petits, et
j’avais approuvé, mais je n’avais pas l’idée que quelques cloisons à établir pussent coûter 5 000 f. […] Je trouve aussi l’éclairage à
300 f. par an exhorbitant, et je crois que le concierge vous trompe là-dessus. […] Mes portiers les plus voleurs n’ont jamais atteint
ce chiffre dans leurs mémoires antérieurs à votre gestion »….
À la fin de 1846 et en 1847, elle prépare le
MARIAGE
DE
SA
FILLE
S
OLANGE
AVEC
C
LÉSINGER
(19 mai 1847), et recommande le plus
grand secret à Falampin. Elle donne à sa fille l’hôtel de Narbonne par contrat de mariage. Mais la brouille avec son gendre survient
bien vite ; les dettes de Clésinger vont l’obliger de vendre l’hôtel de Narbonne. Sand ne veut pas que son fils Maurice soit lésé
par la suite dans sa part d’héritage. Elle parle longuement de ses différends avec sa fille et son gendre. Ainsi, le 19 août 1847,
après une explication désagréable avec Clésinger : « Ma fille m’a fait beaucoup plus de peine, en ne dirigeant pas bien cette tête
violente et faible en même temps. J’ai été forcée de me montrer sévère et de ne pas céder à des exigeances qui eussent peu à peu
compromis je ne dis pas mon avenir, je ne pense jamais à cela, mais celui de mon fils qui est le plus doux et le plus
juste
des êtres.
J’ai trouvé mal qu’on ne m’eût pas avoué, lorsque je questionnais avec sollicitude et indulgence, quelques dettes que l’on ne m’a
confessé que lorsqu’on a prétendu me les faire payer. Je n’ai voulu autoriser un emprunt sur la dot de ma fille, qu’à la condition
d’en savoir et d’en surveiller l’emploi. On me fait un grand crime de cela, et moi, je crois avoir rempli mon devoir. On s’est
pris en outre d’une folle jalousie pour ma pauvre Augustine [B
RAULT
, que Sand a adoptée] qu’on a abreuvée de chagrin et la vie
commune est devenue intolérable dès le premier essai. J’ai été et je suis encore très malade de ces malheurs domestiques dont la
cause n’emportait certainement pas les résultats. La crise dans laquelle mon gendre s’est placé n’avait rien de grave en elle-même.
Ses dettes n’étaient pas exhorbitantes et rien n’était plus facile que d’en sortir sans colère et sans bruit. Mais son cerveau est aussi
faible qu’exhalté, et celui de ma fille est beaucoup trop entier »... Et le 22 novembre 1847, après une entrevue douloureuse avec
Solange : « ces malheureux enfants, qui sont réellement fous à l’heure qu’il est, sont bien méchants dans leur folie. Ils ne respectent
rien ni personne. Pour un peu, ils m’accuseraient de friponnerie moi-même. Ils m’ont fait bien du mal, ils m’en font encore et ils
m’en feront toujours »... Elle sera soulagée d’apprendre la séparation de biens entre les deux époux, en juillet 1848.
Au début de 1849, elle est « sans argent », et presse Falampin de régulariser l’affaire de la rente qui lui revient de son demi-frère
Hippolyte Chatiron, et celle de l’arrêt rendu par la Cour de cassation à son profit contre la commune de Nohant-Vic. En mai, elle
veut liquider l’inscription de rentes sur l’État au profit de son fils, mais se heurte à des difficultés avec le Trésor…
En 1850, elle hésite à s’inscrire à la Société des Auteurs dramatiques : « J’ai dans l’idée que c’est un coupe-gorge, mais enfin
puisqu’il n’y a pas moyen de l’éviter je signerai quand on me mettra en mesure de le faire »… Elle s’inquiète de l’annonce d’une
Petite Fadette
aux Variétés. Elle le charge d’empêcher les représentations de
François le Champi
, pour garder ses droits sur la pièce ;
il doit également vérifier les recettes déclarées par les théâtres pour lui payer ses droits... Devant prendre un nouveau fermier,
elle prie Falampin d’examiner les garanties des personnes qui se présentent.... Elle le pousse à réclamer le paiement de l’amende
à laquelle la Société des Gens de lettres a été condamnée contre elle : « Je ne suis pas intimidée de leurs injures »… Elle le prie de
se renseigner discrètement « sur la situation actuelle d’une ancienne femme de chambre à moi dont la fille est ma filleule et que je
secours depuis de longues années sans trop savoir si je ne suis pas exploitée »… Le 24 mai, elle se plaint de la lenteur avec laquelle
Falampin répond à ses questions, et elle se demande s’il veut continuer à se charger de ses affaires…
En février-mars 1851, ayant besoin d’argent après avoir fait de grands travaux à Nohant, elle charge Falampin de récupérer l’argent
qui lui est dû sur les représentations de
Claudie
à la Porte Saint-Martin et la reprise de
François le Champi
à l’Odéon ; elle surveille
de près et conteste les comptes fournis par les agents dramatiques. Elle le prie de trouver « un bon sujet, homme ou femme, qui
saurait faire la cuisine passablement », pour remplacer sa cuisinière qui se meurt. Elle lui demande aussi de récupérer à la
Revue
des deux mondes
le manuscrit de son roman
Le Château des Désertes
, qui doit lui être rendu après la publication.
En janvier 1852, elle charge Falampin de renouveler son abonnement à
La Presse
, et lui recommande de ne pas donner son adresse
parisienne, 3 rue Racine : « Je me cache comme toujours, pour éviter les ennuyeux mais non pour cause de danger »…
Le 19 décembre 1854, elle envoie son article sur les
Visions de la nuit dans les campagnes
, avec « six bois » de son fils : « Maurice
vous demande de faire graver avec un peu plus de soin que de coutume, de ne pas faire trop charger les fonds et noircir les
transparences, afin de laisser détruite le moins possible ses petits effets nécessaires aux sujets »…
Elle accuse réception d’envois d’argent, ou charge Falampin de diverses commissions ou paiements : achat de plumes, commandes
de livres, vin de champagne, notes d’épicier, paiement d’un livre sur la
Flore du centre de la France
, etc.
Correspondance
(éd. G. Lubin), t. XXV (n
os
S 307, 317, 337, 339, 342, 346, 348, 349, 353, 355, 358, 359, 362, 364, 365, 368,
374, 375, 378, 381, 383-389, 391, 392, 395, 396, 400, 405, 436, 441, 451, 462, 463, 467, 470, 474, 476, 478, 482, 483, 485, 495,
497, 501, 509, 513, 515-517, 519, 522, 525, 527, 530, 533, 542-546, 549, 550, 552, 556-560, 562-565, 567-575, 578, 582-584,
587, 591, 592, 594, 596, 598, 610, 612, 614-616, 620, 621, 623-626, 628, 631, 632, 635-637, 641-643, 645, 646, 650, 651, 658,
660, 662, 664, 773, 854).
Ancienne collection du Colonel Daniel S
ICKLES
(XVII, n° 7663, 25-26 octobre 1994).