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les collections aristophil

522

SAND George (1804-1876).

L.A., [Marseille 26 février 1839],

à François ROLLINAT fils à

Châteauroux ; 7 pages et demie in-8

à son chiffre avec adresse sur la

8

e

page (un coin réparé, quelques

petites fentes).

5 000 / 6 000 €

Lettre exceptionnelle, récit détaillé du

voyage et du séjour à Majorque avec

Chopin

.

Elle vient de rentrer en France « après le

plus malheureux essai de voyage qui se

puisse imaginer. Après mille peines et de

grandes dépenses, nous étions parvenus à

nous établir à Mayorque, pays magnifique,

mais inhospitalier par excellence. Au bout

d’un mois mon pauvre Chopin qui depuis

Paris allait toujours toussant, tomba plus

malade et nous fîmes appeler un médecin,

deux médecins, trois médecins, tous plus

âne l’un que l’autre et qui allèrent répandre

dans toute l’île, la nouvelle que le malade

était poitrinaire au dernier degré. Sur ce,

grande épouvante, la phtysie est rare dans

ces climats et passe pour contagieuse. […]

Nous fûmes regardés comme pestiférés,

de plus comme

payens

car nous n’allions

pas à la messe. Le propriétaire de la petite

maison que nous avions louée, nous mit

brutalement à la porte […] Il fallut être chassés,

injuriés, et payer. Ne sachant que devenir, car

Chopin n’était pas transportable en France,

pieds, rien de plus magnifique que ce séjour.

Mais on a eu raison de poser en principe

que là où la nature est belle et généreuse, les

hommes sont mauvais et avares ». Elle dit les

misères que leur ont fait subir les paysans,

qui « nous tenaient à leur discrétion, sous

peine de mourir de faim. Nous ne pûmes

nous procurer de domestiques, parce que

nous n’étions pas

chrétiens

et que personne

ne voulait servir d’ailleurs un

poitrinaire

.

Cependant nous étions installés tant bien

que mal. Cette demeure était d’une poësie

incomparable. Nous ne voyions âme qui

vive, rien ne troublait notre travail. […] Chopin

avait enfin reçu son piano, et les voûtes de

la cellule s’enchantaient de ses mélodies.

La santé et la force poussaient à vue d’œil

chez Maurice. Moi, je faisais le précepteur

7 heures par jour […] je travaillais pour

mon compte, la moitié de la nuit. Chopin

composait des chefs-d’œuvre, et nous

espérions avaler le reste de nos contrariétés

à l’aide de ces compensations. Mais le climat

devenait horrible à cause de l’élévation de la

Chartreuse dans la montagne. Nous vivions

au milieu des nuages, et nous passâmes

cinquante jours sans pouvoir descendre dans

la plaine, les chemins s’étaient changés en

torrents, et nous n’apercevions plus le soleil.

[…] la poitrine de mon pauvre ami allait de

mal en pis. […] l’humidité de la Chartreuse

était telle, que nos habits moisissaient sur

nous. Chopin empirait toujours […] nous

résolûmes de partir à tout prix, quoique

Chopin n’eût pas la force de se traîner ». On

leur refusa une voiture : « Il nous fallut faire

trois lieues dans des chemins perdus, en

birlocho

, c’est-à-dire en brouette. En arrivant

à Palma, Chopin eut un crachement de sang

[…] nous nous installâmes dans la chartreuse

de Valldemosa, nom poëtique, demeure

poëtique ! nature admirable, grandiose et

sauvage, avec la mer aux deux bouts de

l’horizon, des pics formidables autour de

nous, des aigles faisant la chasse jusque sur

les orangers de notre jardin, un chemin de

cyprès serpentant du haut de notre montagne

jusqu’au fond de la gorge, des torrents

couverts de myrtes, des palmiers sous nos