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les collections aristophil

chaque jour et qu’il n’y a plus de relation entre ce jour là et les autres.

[…] On ne fait un journal que quand les passions sont éteintes, ou

qu’elles sont arrivées à l’état de pétrification qui permet de les explorer

comme des montagnes d’où l’avalanche ne se détachera plus. Ce

travail constate un état de solidité effrayante et que je ne souhaite à

personne, sinon à ceux qui étaient en pleine éruption et qui n’auraient

pu rien garder de leurs feux s’ils ne s’étaient arrêtés tout d’un coup

au milieu de leur vomissement ».

Suivent 15 pages de journal, du 1

er

au 6 juin [1837], avec de belles

pages évoquant le séjour à Nohant de Franz LISZT et Marie d’AGOULT

(Arabella) : « La chambre d’Arabella est au rez de chaussée sous la

mienne. Là est le beau piano de Franz. Au dessous de la fenêtre

d’où le rideau de verdure des tilleuls m’apparaît, est la fenêtre d’où

partent ces sons que l’univers voudrait entendre, et qui ne font ici de

jaloux que les rossignols. Artiste puissant, sublime dans les grandes

choses, toujours supérieur dans les petites. Triste pourtant, et rongé

d’une plaie secrette. Homme heureux, aimé d’une femme belle,

généreuse, intelligente et chaste. […] Quand Franz joue du piano,

je suis soulagé. Toutes mes peines se poétisent, tous mes instincts

s’exhaltent. Il fait surtout vibrer la corde généreuse. Il attaque aussi

la note colère, presqu’à l’unisson de mon énergie. Mais il n’attaque

pas la note haineuse. Moi, la haine me dévore, la haine de quoi ?

Mon Dieu, ne trouverai-je jamais personne qui vaille la peine d’être

haï ? Faites-moi cette grâce, je ne vous demanderai plus de me faire

trouver celui qui mériterait d’être aimé »... La dernière page a été en

partie déchirée, suivie de la trace de feuillets arrachés.

Le journal reprend (27 pages) du 11 au 26 juin. Sand s’y interroge

sans aménité sur l’échec de sa liaison avec MICHEL de Bourges :

« Mon cher Piffoel, apprends donc la science de la vie et quand tu

te mêleras de faire des romans, tâche de connaître un peu mieux

le cœur humain. Ne prends jamais pour ton idéal de femme, une

âme forte, désintéressée, courageuse, candide. Le public la sifflera

et la saluera du nom odieux de

Lélia

l’impuissante. Impuissante !

oui, mordieu, impuissante à la servilité, impuissante à l’adulation,

impuissante à la bassesse, impuissante à la peur de toi. Bête stupide,

qui n’aurais pas le courage de tuer, sans des lois qui punissent le

meurtre par le meurtre et qui n’as de force et de vengeance que dans

la calomnie et la diffamation ! Mais quand tu trouves une femelle

qui sait se passer de toi, ta vaine puissance tourne à la fureur et ta

fureur est punie par un sourire, par un adieu, par un éternel oubli ».

Le 12 juin, célèbre page sur Liszt et Marie d’Agoult, sublime nocturne

dont nous ne citerons que ces quelques lignes : « Ce soir là pendant

que Franz jouait les mélodies les plus fantastiques de Schubert, la

princesse se promenait dans l’ombre autour de la terrasse, elle était

vêtue d’une robe pâle, un grand voile blanc enveloppait sa tête et

presque toute sa taille élancée. […] Le rossignol luttait encore, mais

d’une voix timide et pâmée. Il s’était approché dans les ténèbres du

feuillage et plaçait son point d’orgue extatique comme un excellent

musicien qu’il est, dans le ton et dans la mesure »... D’autres pages

abordent la question de l’éducation, la politique et le progrès… Elle

interpelle violemment Michel de Bourges : « tu es un grand maître. Oh

que je t’ai connu sublime de tendresse ! paternel, persuasif, inspirant

de fanatiques dévouemens ! Pourquoi, vieillard, ton cœur s’est-il

endurci ? Pourquoi de tes enfans as-tu voulu faire des esclaves ? […]

Quel homme avait pourtant mieux compris la puissance de la bonté ?

Mais toute puissance enivre l’homme et il ne sait s’arrêter nulle part »...

Le 23, elle note : « Depuis huit jours j’ai eu plusieurs tentations de

suicide, et les devoirs de la famille m’ont paru insupportables. Enfans,

enfans ! vous êtes des tyrans, vous nous forcez à vivre »... Après la

trace de quelques pages arrachées, quelques notations inquiètes sur

la maladie de sa mère (29 juin-6 juillet, 1 page).

Sur les 3 pages suivantes, Sand a collé les 3 feuillets d’un fragment

retrouvé de 1836, témoignage « d’une des plus douloureuses phases

de ma vie. J’étais à deux doigts de la folie, mais je n’avais plus la

pensée du suicide », intitulé

Traitement 

: « Arrivé à un certain degré

de la maladie, ne plus raisonner ses causes, les accepter, comme

fatales, et lutter contre ses effets »...

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