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Littérature

Le manuscrit est accompagné du

cahier de notes préparatoires

cité

plus haut, cahier épais toilé bleu noir petit in-4, papier ligné, tranches

rouges, étiquette du papetier H. Gonget-Gex à Genève, écrit tête-bêche

sur les premiers et derniers feuillets (15 feuillets, le reste vierge). Gide

y a noté des remarques sur le style et des réflexions sur son œuvre :

« Préférer le mot le moins rare.

Toute recherche, toute délicatesse et même toute précision est inutile,

qui ne fait valoir que l’écrivain.

Mieux vaut une peinture un peu sommaire.

Admirer la fruste manière des très grands. Molière, Cervantes, Fielding.

Les vraies œuvres d’art sont celles que l’artiste a su porter longtemps.

Quels sont aujourd’hui les artistes capables de gestations prolongées ?

[…]

La vraie force : savoir porter longtemps. »

« Rien n’est plus difficile que de savoir jusqu’où il sied de préciser

sa vision. […]

L’important n’est pas de voir mes personnages ; mais de les faire voir. »

On y trouve aussi des notes sur ses personnages :

« Anthime Armand-Dubois, correspondant de Loeb, de Bohn et de

Maxweiler, organise des expériences que constamment dérange sa

femme, par pitié pour les animaux mis à l’épreuve. (et une servante)

(celle qui porte les cierges à la madone). Un franc maçon italien vient

l’aider dans ses expériences. On ne sait plus trop si elles ne sont pas

le prétexte des conciliabules.

« Julius de Baraglioul (on prononce Baraillioul - comme Broglie) fils

d’un diplomate, avait été élevé pour la diplomatie par son père. Avait

mis sa plume au service de son imagination et son imagination au

service de l’Église. Il observait, mais pour instruire. Ses romans se

faisaient remarquer par une très haute tenue morale – sans austérité

néanmoins, de sorte qu’ils étaient en grande faveur ».

« Les vraies œuvres sont celles que l’artiste a su porter longtemps ».

Lorsqu’il trace ces mots en 1911 dans le cahier noir de notes

préparatoires, André Gide s’apprête à se lancer dans l’écriture de

son nouveau livre,

Les Caves du Vatican

, dont les premières esquisses

remontent à 1898. Si Gide a élaboré cette œuvre sur de nombreux

brouillons épars (principalement à la Bibliothèque littéraire Jacques

Doucet et à la Fondation Martin Bodmer), il n’existe toutefois que ce

seul manuscrit autographe complet des

Caves du Vatican

, représentant

la mise au point du texte complet du roman, avant sa dactylographie

pour l’impression (qui sera encore corrigée) ; il a été longtemps

conservé par Catherine Gide, la fille de l’auteur.

Les Caves du Vatican

vont paraître en 1914, après une prépublication en quatre livraisons

de janvier à avril 1914 dans

La Nouvelle Revue française

, aux Éditions

de la N.R.F., avec la mention « Sotie par l’auteur de

Paludes

 ». André

Gide en tirera plus tard une adaptation théâtrale.

Les Caves du Vatican

tiennent du roman d’aventure et du conte

philosophique voltairien, teintés d’une certaine fantaisie et dérision, d’où

le qualificatif de « sotie ». Rappelons-en les principaux protagonistes :

le scientifique franc-maçon Anthime Armand-Dubois, qui se convertit

au catholicisme à la suite d’une apparition de la Vierge ; son beau-

frère l’écrivain catholique Julius de Baraglioul, candidat à l’Académie

française ; le fils naturel de Baraglioul père, Lafcadio Wluiki, jeune

arriviste ; Protos, qui dirige « le Mille-Pattes », organisation d’escrocs

soutirant de l’argent pour délivrer le Pape, qui serait séquestré par les

Loges et remplacé par un sosie ; le Béarnais Amédée Fleurissoire,

qui vient à Rome pour délivrer le Pape, et que Lafcadio tuera en le

jetant d’un train, par pur acte gratuit…