Previous Page  131 / 268 Next Page
Information
Show Menu
Previous Page 131 / 268 Next Page
Page Background

129

Littérature

.../...

Le « fou » tombe éperdument amoureux de cette Maria, avec qui il

fait de longues promenades ; il se lie aussi avec son mari, et enrage

en pensant aux ébats de Maria avec son mari… Puis vient la fin des

vacances, et la séparation…

Le chapitre XV reprend « tel qu’il était » un récit plus ancien, ainsi

présenté : « Le fragment qu’on va faire [

sic

] avait été composé en

partie en décembre dernier. Avant que j’eusse eu l’idée de faire les

Mémoires d’un fou ». Flaubert a en effet inséré dans son manuscrit

les 6 feuillets de ce fragment, numérotés 1 à 6, d’un papier différent

et plus petit (30,7 x 20,5 cm), et sans marque de marge. C’est l’histoire

des premiers émois amoureux avec une provocante jeune Anglaise,

Caroline. Au chapitre XVI, la première expérience sexuelle, à quinze ans,

est honteusement et brièvement contée : « J’eus des remords – comme

si l’amour de Maria eut été une relique que j’eusse profanée ». Après

quelques chapitres, où le « fou » se livre à de grands développements

lyriques ou amers et pleins de dérision, le chapitre XXI commence

brusquement par une ellipse (« J’y revins deux ans plus tard vous savez

où elle n’y était pas »), qui annonce celle, fameuse, de

L’Éducation

sentimentale

. Sur les lieux marqués par l’absence de Maria et pleins

de son souvenir, le « fou » s’abandonne à l’amour mais regrette de ne

pouvoir « dire tout ce que je ressentis d’amour d’extase de regrets »…

Après une dernière évocation éblouie du souvenir de Maria, mais

regrettant de n’avoir pas été « plus hardi », le « fou » achève tristement

ses mémoires (chap. XXIII) : « Ô cloches vous sonnerez donc aussi

sur ma mort, et une minute après pour un baptême. Vous êtes donc

une dérision comme le reste et un mensonge comme la vie – dont

vous annoncez toutes les phases, le baptême, le mariage, la mort.

Pauvre airain perdu et perché au milieu des airs et qui servirait si bien

en lave ardente sur un champ de bataille ou à ferrer les chevaux ».

Ce roman est fortement autobiographique, avec l’évocation de la

jeunesse et du collège, et surtout par l’évocation de la rencontre

dans l’été 1836, sur la plage de Trouville, d’Élisa Schlesinger, qui a

« ravagé » Flaubert : elle devient, deux ans plus tard, la Maria des

Mémoires d’un fou

, et sera plus tard le modèle de Mme Arnoux

dans

L’Éducation sentimentale

. L’épisode de Caroline reprend, sans

transposition, l’histoire de la jeune Anglaise Caroline Heuland, qui

passait ses vacances chez les Flaubert, et épousera un professeur

de dessin. Le roman est aussi fortement marqué par la lecture des

maîtres : le Rousseau des

Confessions

, le Goethe de

Werther

, le

Chateaubriand de

René

, et Byron. Mais on remarquera dans ces

pages un ton personnel, une attention à la forme et à la structure

romanesque, et un remarquable travail de style, qui font des

Mémoires

d’un fou

la première vraie manifestation, remarquablement précoce,

du génie flaubertien.

De Louis Le Poittevin (fils d’Alfred), le manuscrit passa au bibliophile

Pierre Dauze, qui prépara l’édition de cet inédit, sous le titre inexact

de

Mémoires d’un fou

, dans

La Revue blanche

(4 livraisons, 15

décembre 1900-1

er

février 1901), puis en volume, chez Floury, dans

une édition hors commerce tirée à cent exemplaires, dont le texte

sera repris plusieurs fois par la suite. Il passa ensuite dans la collection

du ministre et grand bibliophile Louis Barthou, et, depuis la vente

de sa bibliothèque en 1935, il avait disparu. Ce n’est qu’en 2001 que

Mme Claudine Gothot-Mersch a pu en donner, dans le tome I des

Œuvres complètes

de Flaubert dans la Bibliothèque de la Pléiade,

une édition conforme au manuscrit, dont elle a donné une description

codicologique précise, sous son titre exact ; nous renvoyons à son

édition et à la remarquable étude qui l’accompagne.

Flaubert,

Œuvres complètes, I, Œuvres de jeunesse

(Gallimard,

Bibliothèque de la Pléiade, 2001) :

Les Mémoires d’un fou

(p. 461- 515) ;

notice et édition critique par Claudine Gothot-Mersch (p. 1350-1388).

Provenance :

Alfred LE POITTEVIN ; son fils Louis LE POITTEVIN ;

Pierre DAUZE (

Catalogue de la bibliothèque de feu M. Pierre Dauze

,

I, 11-16 mai 1914, n° 600) ; Louis BARTHOU (

Bibliothèque de M. Louis

Barthou

, I, 25-27 mars 1935, n° 389, ex-libris).